Ainsi, Facebook va tester un bouton « Je n'aime pas » ou « Je suis désolé ». Dans le passé, le réseau qui compte 1,5 milliard d'usagers mensuels a toujours refusé de proposer une option au « J'aime ». Mark Zuckerberg affirmait qu'un bouton exprimant un sentiment négatif « n'est pas socialement valable ni bon pour la communauté ».

Il faut dire que la culture de son entreprise n'aime pas le négativisme. Au siège social de Facebook, à Palo Alto, on a l'ambition de changer le monde. En commençant par le lieu de travail sans bureaux fermés, où les cadres travaillent en jeans et t-shirts, les employés se font des « high fives » au lieu de se donner des poignées de mains. On peut bosser 48 heures d'affilée en faisant du skateboard entre les postes de travail. Vivement le progrès !

Mais la réalité frappe toujours au détour. En mai dernier, la directrice des opérations de Facebook, Sheryl Sandberg, a perdu subitement son époux, durant ses vacances au Mexique. Elle a publié un texte émouvant sur sa page FB, partagé par plus de 400 000 utilisateurs. Ce qui a permis à son célèbre patron de cogiter sur le sens de la vie et du deuil : « Ce que les gens veulent, c'est la possibilité d'exprimer leur empathie, dit désormais Zuckerberg. Dans la vie, tous les moments ne sont pas de bons moments ».

On ne lui donnera pas de « high fives » pour cet exposé de philosophie, car l'empathie ne se résume pas à un nombre de clics ; tout comme l'amitié ne se calcule pas aux contacts dans un réseau social.

Contrairement à la technologie, l'humanité peut difficilement résoudre ses problèmes de fonctionnement avec des tests. Pire, elle est condamnée à répéter ses erreurs, ses conflits, ses tragédies.

On dit souvent que les relations humaines ont changé depuis que chacun a le loisir de se créer une personnalité sur internet, d'avoir une vie sociale virtuelle pour combler la solitude. Du moins, c'est ce que veulent nous faire avaler les maîtres d'illusions de Palo Alto. « Le développement de Facebook a été largement commenté du fait de l'ampleur du phénomène et de ses implications en termes de comportements sociaux », souligne le philosophe français Bernard Stiegler. Selon lui, Facebook est un pharmakon (un terme qui signifie contenir à la fois le poison et le remède). Ce réseau « automatise techniquement la relation d'amitié et de proximité, tout en contribuant à la déshumanisation et la misère symbolique des individus. »

Facebook exploite donc le talon d'Achille de la nature humaine : notre impuissance devant le néant. Avec Facebook et ses avatars, Mark Zuckerberg a créé un monstre qui se nourrit de notre faille. Une bulle gigantesque gonflée par l'insoutenable légèreté de l'être, dans laquelle on se sent à l'abri, presque en famille.

L'être humain aimerait avoir la puissance et le contrôle. Or, il est condamné à constater ses limites. Ce n'est pas en connectant « tous les habitants de la planète sur Facebook », comme affirme Zuckerberg dans le nouveau numéro de Vanity Fair, qu'il va changer l'état du monde.

Facebook est la grande illusion de l'establishment de la nouvelle économie. Ces jeunes milliardaires veulent donner du sens à un monde absurde. Désormais, on est (presque) tous accros à cette bulle bleue et blanche. Attention, quand elle va péter, ça va faire mal !

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