La politique est souvent un théâtre à l'intérieur duquel, pour paraphraser Shakespeare, la vie est un récit plein de bruit et de fureur qui ne signifie rien. Prenez le psychodrame oedipien qui, depuis six mois, secoue le Front national (FN) en France. Il oppose Jean-Marie Le Pen à sa fille présidente du parti, Marine Le Pen ; et dans un rôle très secondaire, la petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen.

À moins d'un revirement, la crise semble avoir connu son épilogue, hier soir, avec l'exclusion de Jean-Marie Le Pen comme membre du parti qu'il a cofondé. Quelques heures auparavant, l'exclu avait lancé « qu'il n'y a plus de chefs au FN, seulement des fantassins » ! L'ex-président d'honneur est toutefois ressorti de sa convocation avec les membres du bureau exécutif plus conciliant. Il a déclaré vouloir « la réunification du FN » et a appelé au dialogue avec sa fille.

De dialogue, il n'y aura point. Par la suite, Marine Le Pen a affirmé que son père a « entamé un processus dont il connaissait l'issue ». À quoi le patriarche a répliqué : « Marine Le Pen méprise la justice. Ça laisse craindre de ce qu'elle pourrait faire si elle est élue présidente. »

À mi-chemin entre le soap américain, la tragédie grecque et le vaudeville, le feuilleton Le Pen s'étire inexorablement. Il risque d'alimenter la presse encore durant des semaines.

La nature humaine est mystérieuse. Comment expliquer qu'un père répudie sa propre fille, à 87 ans, pour s'accrocher à un titre, à un pouvoir symbolique et à une existence publique ? Jean-Marie Le Pen aurait mieux fait de suivre les traces du roi Lear qui, déçu par ses filles, va s'exiler et sombrer dans la folie.

Or, Jean-Marie Le Pen n'est pas Lear. Il ressemble plutôt au personnage titre d'Ubu roi d'Alfred Jarry : Père Ubu. Pervers, cupide et imbu de lui-même, Ubu symbolise « l'absurdité des hiérarchies politiques ». D'ailleurs, le qualificatif ubuesque, synonyme de grotesque, est celui qui colle le mieux à la saga franco-politico-familiale.

Chef omnipotent du FN de 1972 à 2011, Jean-Marie Le Pen s'oppose, depuis son départ, à la nouvelle stratégie des dirigeants du FN de dédiaboliser le parti d'extrême droite dans l'opinion publique.

En établissant, entre autres, un plan de communication pour éviter les dérapages de ses membres.

Alors, lorsqu'au début de l'année, Le Pen a répété ses déclarations controversées pour réhabiliter le maréchal Pétain et minimiser la Shoah (« les chambres à gaz sont un point de détail de l'Histoire et de la Seconde Guerre »), cela a bien sûr choqué sa fille. Elle s'est vite dissociée des déclarations du paternel. La direction du FN a convoqué le « Menhir » - surnom que lui ont donné ses partisans - devant une commission disciplinaire qui lui a retiré la présidence d'honneur. Le Pen a fait appel au tribunal et a regagné, en mai dernier, son titre. Pour finir avec son bannissement pur et simple.

Ce feuilleton divertissant n'a, hélas, rien de rassurant pour l'avenir politique des Français. Peu importe si le Père Ubu est réduit au silence, la Mère Ubu n'a pas dit son dernier mot.

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