Depuis un certain temps, les comparaisons entre le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, réélu dimanche, et le président russe, Vladimir Poutine, réélu en mars, fusent. Les deux hommes ont en effet plus d'un point en commun.

Lorsqu'ils ont pris le pouvoir, en 1999 pour Poutine et en 2003 pour Erdoğan, les deux politiciens ont tous deux oeuvré à faire croître l'économie de leur pays, faisant plus que doubler le revenu moyen par habitant en quelques années et s'assurant du coup un large soutien populaire.

Dès que leur pouvoir grandissant a été remis en cause, ils ont brandi les mêmes armes. Poutine s'est tourné vers la religion orthodoxe et le nationalisme, en annexant notamment la Crimée. 

Erdoğan, issu des rangs d'un parti conservateur pro-islamiste, a relancé en 2015 le conflit avec les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) après avoir précédemment réussi à obtenir un cessez-le-feu, s'attirant les faveurs électorales de l'extrême droite.

Haro sur l'opposition

Poutine et Erdoğan se sont aussi fait connaître pour la répression sans merci de leur opposition. Les opposants au Kremlin ont soit atterri derrière les barreaux ou ont été assassinés en pleine rue. Sous Erdoğan, la Turquie est devenue la plus grande prison de journalistes du monde. Et depuis le putsch raté de 2016, plus de 160  000 personnes ont été arrêtées, près de 50  000 attendent leur procès et 100  000 ont perdu leur emploi.

Les deux présidents ont aussi une mainmise presque complète sur les médias de masse dans leurs pays respectifs. Pendant la campagne électorale turque qui vient de se terminer, privé de couverture médiatique, le principal opposant à Erdoğan, Muharrem Ince, a demandé à ses supporteurs de diffuser ses discours en direct sur Facebook. Ils étaient pourtant chaque fois plusieurs centaines de milliers à y assister : pas exactement une petite réunion confidentielle qui aurait échappé à la vigilance des journalistes.

Jusqu'à maintenant, si ces comparaisons entre les deux hommes étaient inquiétantes pour ceux qui s'intéressent aux deux poids lourds régionaux que sont la Turquie et la Russie, dimanche, après le scrutin qui a permis à Erdoğan d'être élu au premier tour, elles sont devenues alarmantes.

En se réappropriant la présidence pour les cinq prochaines années, Recep Tayyip Erdoğan peut immédiatement mettre en vigueur la réforme présidentielle qu'il a enclenchée grâce à un référendum constitutionnel remporté à l'arraché l'an dernier. 

Il disposera dorénavant d'autant de pouvoir que l'homme fort du Kremlin. Il choisira les ministres et pourra les défaire de leurs fonctions, il nommera les juges et contrôlera la police et l'armée. Ancien siège du pouvoir, le parlement, soudainement délesté du poste de Premier ministre, servira surtout de comité au président tout-puissant. Erdoğan, qui est assuré de régner au moins jusqu'en 2023, peut dorénavant gouverner en parfait autocrate. Comme Poutine.

D'ailleurs, le président russe a été le premier à féliciter Erdoğan pour sa réélection, louant sa «grande autorité politique». L'ayatollah Khamenei d'Iran, le premier ministre d'extrême droite de Hongrie, Viktor Orban, et le gouvernement chinois lui ont emboîté le pas.

Le silence complice

Le silence des alliés occidentaux, qui ne manquent pourtant pas une occasion de critiquer le Kremlin, est assourdissant à l'égard d'Erdoğan. Angela Merkel, qui a eu des prises de bec avec le président turc, a dit hier souhaiter la continuité de la relation «constructive» et «bénéfique» entre l'Allemagne et la Turquie. Les autres sont restés discrets, préférant ménager leur principal allié militaire du monde musulman. Seuls la ministre des Affaires étrangères de la Suède et le secrétaire général de l'OTAN, Jens Sloltenberg, ont émis des réserves publiquement.

Après l'élection de dimanche et le coup fatal que le résultat porte à la démocratie turque, le temps est venu pour les membres de l'OTAN de laisser tomber les gants blancs. Justin Trudeau confirmait hier qu'il assisterait au Sommet de l'alliance militaire transatlantique les 11 et 12 juillet à Bruxelles. Ce sera l'occasion rêvée de rappeler le président turc à l'ordre en matière de libertés politiques, de droits de la personne et de la liberté de presse. Le temps de la politesse est révolu.

Lourde diaspora

Arme pas si secrète du président Erdoğan, la diaspora turque a pesé lourd dans la balance des élections dimanche. En Allemagne, en France, aux Pays-Bas et en Autriche, soit les quatre pays qui abritent les deux tiers des 3 millions d'expatriés turcs, ces derniers ont donné un appui écrasant au président sortant. Si la population qui a voté en Turquie a accordé 52,6% de ses voix à Erdoğan, en Allemagne, les appuis ont dépassé la barre des 65,7%. En France? 63%. Ces résultats ne sont pas sans rappeler ceux de la première élection tunisienne post-printemps arabe. La diaspora avait donné un sérieux coup de pouce au parti islamiste en lice, soulevant la controverse. Chaque fois, la même question se pose. Un individu qui vit et paye des impôts à l'étranger a-t-il le droit d'influer sur le choix d'un gouvernement sans avoir à en subir les conséquences? La loi le permet, mais la morale, elle, indique le contraire.

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