Le président égyptien Mohammed Morsi a été délogé, les Frères musulmans sont en déroute, de nouvelles élections seront organisées. Bravo, a ironiquement applaudi l'humoriste Bassem Youssef récemment dans le journal Al-Shourouk. «L'Égypte revient aux Égyptiens beaux, gentils, propres, sans barbe ni voile intégral comme on en voit dans les pubs et dans les feuilletons télé...»

Presque un mois après le renversement du président Morsi, quelques voix discordantes arrivent à se faire entendre entre le triomphalisme des opposants et la colère des partisans.

L'une des voix plus remarquables est celle de Bassem Youssef. L'homme a pourtant toutes les raisons de se réjouir du renversement de M. Morsi et des Frères musulmans, eux qui s'étaient plaints de le voir «insulter» le président. Mais l'humoriste est consterné par ce qu'il observe depuis quelque temps, notamment les «discours d'incitation à la violence et de rejet de l'autre» véhiculés dans les médias égyptiens.

Youssef a des mots très durs. Il dénonce le «vertige de la victoire, le triomphalisme et l'arrogance» de plusieurs compatriotes. «Leurs tendances fascistes n'ont rien à envier à celles des pseudomusulmans qu'ils viennent de chasser du pouvoir.» Déjà, plusieurs rumeurs en Égypte associent les partisans de M. Morsi à des réfugiés syriens et palestiniens payés par les Frères musulmans - les mesures de sécurité ont d'ailleurs été renforcées contre ces réfugiés désormais menacés de déportation.

Inquiétant. Amnistie internationale aussi s'en est mêlée. Depuis le renversement du 3 juillet, écrit Amnistie, plus de 660 hommes ont été arrêtés au Caire. Amnistie révèle une série de mauvais traitements subis par les personnes appréhendées - coups de crosse de fusil, décharges électriques, interrogatoire les yeux bandés. Des chaînes de télévision ont également été fermées parce qu'elles soutenaient l'ancien président.

Des méthodes dignes de l'ancien régime Moubarak, note avec justesse Amnistie internationale...

Bref, disent Bassem Youssef et d'autres voix préoccupées, les libéraux sont en train de «commettre la même erreur» que les Frères musulmans. «Il faut juger les dirigeants des Frères lors de procès équitables, comme on a jugé les dirigeants de l'ancien (parti de Hosni Moubarak).»

Il aurait aussi fallu, ajoutent d'autres observateurs, que des islamistes fassent partie du gouvernement de transition. «Cette décision», écrit l'auteur Thanassis Cambanis, «aura assurément comme conséquence de voir la légitimité de toutes les décisions du gouvernement remise en doute par les islamistes.»

Mais tout n'est pas sombre pour autant. Ce ne sont pas tous les coups d'État qui se terminent dans le chaos, a noté dans The New Yorker le chercheur Naunihal Singh, spécialiste du phénomène. «La survie de la démocratie en Égypte a plus à voir avec ce qui arrivera à partir de maintenant qu'avec la manière dont a été renversé Morsi.» Pourvu, évidemment, que les rabat-joie soient écoutés...