Quand on pense à Toronto, bien des images nous viennent spontanément à l'esprit, mais la violence armée, les homicides à répétition et les gangs de rue n'en font pas partie. Du moins, ce n'était pas le cas jusqu'à tout récemment.

Or la multiplication des fusillades nous rappelle que la métropole canadienne a connu une mutation importante ces dernières années au point de rendre désuète l'expression «Toronto la pure».

Seulement cette année, 228 fusillades ont éclaté là-bas et 29 morts sont à déplorer, en incluant les victimes du tireur qui a sévi dans Greektown dimanche. Un événement dont les causes semblent isolées, mais qui s'ajoute tout de même à une liste de plus en plus longue de tueries.

Il n'y a pas de crise, entendons-nous, car le taux d'homicides a beau augmenter à Toronto, il demeure sous la moyenne canadienne. Mais il y a certainement un problème, que reconnaît d'ailleurs le maire John Tory.

«Cette ville a un problème d'armes, a-t-il affirmé. Les armes sont trop facilement disponibles pour trop de personnes.»

Il y a du vrai là-dedans, comme le prouve la hausse du nombre de crimes liés aux armes à feu dans le pays au cours des trois dernières années. Il y a donc là un enjeu à prendre au sérieux, surtout s'il s'avère que l'auteur de la dernière fusillade a pu mettre la main sur une arme malgré des problèmes de santé mentale.

Mais soyons honnêtes, le véritable problème qui mine Toronto est bien plus large que ça.

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Au-delà de la fusillade des derniers jours et de l'attentat au camion-bélier d'avril dernier, les statistiques révèlent que la Ville Reine est victime d'une violence grandissante, qui émane de plus en plus de jeunes hommes qui, souvent, sont membres de gangs de rue.

Ce serait donc une erreur pour Toronto de se contenter de déplorer le nombre d'armes en circulation en renvoyant ainsi commodément le problème dans la cour de la province et du fédéral, comme l'a fait John Tory cette semaine.

La principale métropole du pays a aussi besoin dans les circonstances, disons-le, d'un sérieux exercice d'introspection.

Pour s'en convaincre, il faut retourner lire les rapports publiés il y a 10 ans sur Toronto et la violence qui l'ébranlait alors. Le plus intéressant d'entre eux, réalisé en 2008 à la demande du gouvernement McGuinty, après une fusillade ayant entraîné la mort d'un élève dans une école secondaire, prédisait ce qui se passe aujourd'hui.

Signée par l'ancien juge en chef et procureur général Roy McMurtry et l'ancien président de l'Assemblée législative Alvin Curling, l'enquête parlait déjà d'une violence croissante et de plus en plus grave chez les jeunes, même si les chiffres de la criminalité ne reflétaient pas encore cette tendance à l'époque.

Les auteurs citaient alors une hausse des actes criminels violents commis par des enfants plus jeunes ainsi qu'un recours plus grand aux armes à feu «utilisées lors de disputes autrefois réglées par les coups». Ils faisaient mention de «l'escalade des armes et des gangs de rue». Et ils évoquaient «une collectivité encline à ne pas se préoccuper de ces jeunes et de ces communautés, qu'elle considère être la source du problème et non ses victimes».

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En relisant le rapport, on réalise comment ses conclusions étaient prémonitoires. Mais on comprend aussi à quel point l'accès aux armes n'est que la moitié du problème. Il faut certes se demander comment les jeunes et les membres des gangs de rue mettent la main si facilement sur les armes, mais il faut aussi se demander pourquoi ils le font. Pourquoi ils sentent le désir, voire l'obligation de s'armer.

Autrement dit, le problème n'est pas l'arme en soi, mais le besoin d'en posséder une.

On doit donc lutter contre la violence, c'est évident, mais on doit aussi se demander d'où elle vient, quelles sont ses causes, ce qui l'alimente et surtout, ce qu'on peut faire pour la prévenir.

Le rapport de 2008 traçait d'ailleurs un portrait saisissant du problème, surtout dans les quartiers de Toronto frappés par une pauvreté «racialisée, ghettoïsée et associée à la violence».

Les auteurs font bien attention de ne pas présenter la pauvreté comme une cause directe de la criminalité violente. Mais ils précisent que la pauvreté sans espoir, combinée à l'isolement et au racisme, à la faim et à des conditions de logement indignes, peut générer les facteurs de risque qui mènent directement à la violence comme celle qu'on voit dans bon nombre de fusillades (on connaît peu de détails sur la plus récente, qui semble davantage provenir de problèmes mentaux).

«Si nous laissons ces tendances et répercussions s'intensifier et si la société ne fait rien pour éliminer les conditions sous-jacentes, écrivaient les auteurs il y a 10 ans, le pronostic pour les quartiers et l'avenir de cette province est alarmant.»

Est-ce que tout a été fait depuis pour éviter que cela se produise? Au contraire, les années de Rob Ford à la mairie ont fait reculer la Ville sur ce front, notamment avec l'élimination de programmes destinés aux jeunes. Et John Tory, pour sa part, n'a pas encore mis les bouchées doubles pour compenser les errements de son prédécesseur.

Face à une situation qui ressemble de plus en plus au pronostic de 2008, face aussi à la multiplication inquiétante d'événements tragiques isolés, certains évoquent aujourd'hui le besoin d'un forum d'envergure contre la violence et les armes à feu dans la Ville Reine. Une vaste introspection, en quelque sorte.

Toronto, tristement, est rendu là.

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