Il fallait réduire l'écart. À peu près tout le monde s'entendait sur la chose il y a 15 ans.

Payer les médecins spécialistes si peu par rapport aux autres provinces avait quelque chose de honteux, à l'époque. La différence atteignait tout de même de 30 % à 40 %, selon les sources. Certains parlaient même de 57 % ! 

Mais une fois qu'on se rappelle d'où on est parti en 2003, la question se pose : comment a-t-on pu arriver là aujourd'hui ? Comment a-t-on pu se réveiller un beau matin de février 2018 en réalisant qu'on avait finalement trop donné aux spécialistes ? 

Cela dépasse l'entendement : des moins rémunérés au pays, les médecins sont devenus quasiment les mieux payés, en un claquement de doigts ! 

La machine s'est clairement emballée au fil des années. Et curieusement, personne ne l'a arrêtée au gouvernement. 

De deux choses l'une. Ou bien les négociateurs de l'État ne sont pas intervenus volontairement pour empêcher cet indécent revirement de situation... auquel cas c'est un problème. 

Ou bien l'entente empêchait carrément les négociateurs d'intervenir... auquel cas c'est un problème plus grave encore qui laisse croire que les ententes écrites par le tandem Couillard-Barrette étaient viciées dès le départ en faveur des spécialistes. 

Il y a d'ailleurs quelque chose de surréel à entendre les ministres libéraux parler des ententes passées comme si elles leur avaient été imposées, comme s'ils étaient menottés, incapables de les déchirer ou de revenir en arrière. 

Le fait qu'ils les aient eux-mêmes négociées et entérinées explique en partie la colère populaire des derniers jours. Cela, et le fait que cette entente survient après des années de rigueur budgétaire, une réforme en santé dont ils ne voient pas les bienfaits, une énième crise des infirmières, etc. 

Il y a là une rupture de contrat avec les contribuables. 

Ces derniers, en effet, avaient été bons joueurs il y a 15 ans quand le ministre de la Santé d'alors, François Legault, avait entamé le nécessaire rattrapage. 

Après tout, un rattrapage, c'est simplement une façon de réduire l'écart, de le corriger, de l'atténuer. Un geste qui allait de soi à l'époque. Mais soyons honnêtes, personne n'aurait été d'accord si le gouvernement avait plutôt annoncé qu'il visait un « nécessaire dépassement » de la moyenne canadienne. 

Et pourtant, c'est là que nous sommes aujourd'hui. Avec un corps de métier dont la rémunération est passée de 15 à 22 % du budget total de la Santé, même si on avait officieusement fixé un seuil de 20 %. 

Nous ne sommes plus dans l'« équité externe ». Nous ne sommes même pas, pour reprendre les mots de la Fédération des médecins spécialistes, dans la « parité canadienne », c'est-à-dire l'égalité parfaite. 

Nous sommes plutôt dans une situation où les spécialistes sortent gagnants de négociations qui ne pouvaient aller que dans un sens : toujours plus haut. Aucun mécanisme ne permettait manifestement de redescendre ou d'ajuster les ententes passées, même si des provinces décidaient en cours de route de geler le salaire de leurs médecins, comme certaines l'ont fait. 

Or si l'idée de base était de rattraper la moyenne canadienne (ou celle de l'Ontario), pourquoi n'avoir rien prévu dans les ententes passées pour ajuster à la baisse, le cas échéant ? Pourquoi la correction ne pouvait-elle se faire qu'à la hausse ? 

La question se pose quand on sait que les médecins québécois jouissent des avantages d'un État providence beaucoup plus généreux qu'en Ontario. 

Mais Philippe Couillard ne veut rien entendre de tout ça. Il nous invite plutôt à voir le bon côté des choses, à le féliciter, même. Il nous invite à nous réjouir du fait que tout cela va finalement coûter moins cher... que ce que prévoyait l'entente qu'il a lui-même négociée avec Gaétan Barrette il y a 11 ans ! 

Pensez-y. La plupart des « bonnes nouvelles » annoncées hier par le gouvernement libéral se résument en effet à l'abandon de clauses consenties par les libéraux dans les ententes passées.

Que ce soit la clause remorque qu'on met de côté, l'étalement des montants sur une plus longue période ou le fait qu'on va finalement payer moins cher que ce qu'on devait selon les ententes négociées dans le passé. 

Les libéraux se voient ainsi forcés de régler une dette qu'ils ont eux-mêmes contractée. Et ils voudraient qu'on applaudisse.

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