Les électeurs sont appelés à choisir leur maire, demain. Mais déjà, on peut prévoir que sur dix d'entre eux, six ne prendront probablement pas la peine de se déplacer pour voter...

Pensez-y, six sur dix ! Une majorité d'électeurs ! Qui laisse à une poignée de citoyens le soin de décider qui prendra toutes les décisions concernant leur milieu de vie jusqu'en 2021. 

C'est énorme, surtout quand on sait que les municipalités n'ont plus rien à voir avec les « créatures » des provinces qui se contentaient jadis de ramasser les ordures. 

Mais de nombreux électeurs continuent néanmoins de s'abstenir de voter sous prétexte que les villes, de toute façon, « ça gère pas grand-chose ». Comme ces jeunes électeurs interrogés dans le cadre d'une étude de l'Université Laval dévoilée l'an dernier sur le vote des jeunes* :  « Moi, j'pense que les municipales, c'est moins important. Car j'trouve que gérer la ville, pas mal tout le monde est capable. T'sais, ça va se ressembler... » Non. Justement, ça ne va pas se ressembler d'un candidat à l'autre. Et donc, le fait de choisir l'un ou l'autre aura d'importantes incidences sur la vie des citadins pendant quatre longues années. 

Une autre abstentionniste citée dans l'étude va plus loin encore en expliquant que, pour sa part, elle choisit de ne pas se présenter aux urnes parce qu'« aux élections municipales, ils font pas beaucoup de choses pour ma santé, pour mon éducation. C'est pas tel ou tel maire qui va changer ma vie »... 

Eh bien oui, justement... 

*** 

Disons-le, ce n'est pas étonnant que l'image vieillotte de la municipalité qui ne sert qu'à entretenir les égouts persiste dans l'opinion publique : c'était bel et bien l'essentiel de sa mission en 1867. 

On regardait tellement cet ordre de gouvernement de haut à l'époque où la fédération est née qu'on n'a même pas cru bon les reconnaître dans la constitution ! 

Mais au fil des décennies, les villes ont vu leurs responsabilités augmenter toujours plus, si bien que dans les derniers mois, Montréal est officiellement devenue métropole, Québec a été reconnue capitale et toutes les autres municipalités ont reçu le titre de gouvernement de proximité. Ce ne sont que des mots, c'est vrai, mais ce changement lexical traduit néanmoins une réalité observable : les villes prennent chaque année plus d'importance, au point d'être devenues un ordre de gouvernement à part entière. 

Prenons des exemples récents et concrets. 

La loi 62 a beau porter sur la neutralité religieuse « de l'État », ce sont les maires qui devront l'appliquer. 

Dans le débat sur les réfugiés, on ne parle pas d'« État sanctuaire », mais bien de « villes sanctuaires », avec toutes les responsabilités que cela comporte. 

Et quand l'une des plus grosses entreprises au monde, Amazon, a fait savoir qu'elle se cherchait un nouveau chez-soi, ce n'est pas le Canada qui a déposé sa candidature, pas même le Québec, ce sont les villes regroupées en régions urbaines. 

Un meilleur exemple encore : le climat. On peut bien débattre des cibles fédérales de réduction de gaz à effet de serre, mais dans les faits, ce sont les municipalités qui font la différence. 

Le gouvernement fixe des objectifs et des orientations, mais ce sont les villes qui décideront d'ajouter des autobus ou des stations de métro, de verdir ou de piétonniser des quartiers, d'implanter des pistes cyclables ou de nouveaux vélos en libre-service. 

Bref, ce sont les maires, plus que les premiers ministres, qui auront un impact sur le quotidien des citoyens. 

*** 

Toutes ces choses, petites et grandes, qui peuvent améliorer ou empoisonner notre quotidien, elles relèvent de la municipalité. 

On peut donc critiquer les nids-de-poule, se plaindre de nouveaux sens uniques ou déplorer le manque de propreté d'une artère commerciale. Mais en amont de ces désagréments, il y a eu un vote pour la personne qui a pris ses décisions et a fixé les priorités des prochaines années. La municipalité est le lieu où se dessine le milieu de vie, elle est garante de la qualité de vie des citoyens, elle est l'ordre de gouvernement le plus proche de l'électeur. 

Même chose pour la grande ville, qui elle, en outre, doit aujourd'hui répondre à des problèmes globaux avec des outils locaux (ce qu'on appelle le glocalisme). Elle doit suppléer la paralysie des États-nations, déchirés idéologiquement, incapables de collaborer en dehors de leurs frontières. 

La ville a donc, d'une certaine façon, plus d'impacts encore sur la vie des citoyens que peut avoir le provincial, et surtout le fédéral, dont les élections affichent pourtant des taux de participation plus élevés.

Les villes décident où seront construites les écoles. Elles s'occupent de santé publique et fixent à partir de quel niveau le bruit dérange. Elles investissent plus ou moins d'argent dans la sécurité et la police. Elles choisissent d'ajouter un dos-d'âne dans la rue ou pas. Elles s'occupent des plages horaires de la piscine et de la bibliothèque. 

Et malgré toutes ces responsabilités, les électeurs sont nombreux à laisser leur voisin choisir les priorités du coin. À abandonner tout contrôle des décisions qui auront un impact sur eux. À croire qu'ils font un pied de nez aux politiciens en boudant les urnes. 

Or l'abstention n'est pas comptabilisée et n'est donc pas, dans notre système, une façon d'exprimer son insatisfaction. Ce n'est pas un désaveu. Ce n'est même pas un message. 

C'est une case vide. C'est une non-présence. C'est une absence dont les impacts se font sentir de manière très concrète, au quotidien. Surtout au municipal.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion