En répondant de manière sèche et méprisante à la politique d'affirmation du Québec, Justin Trudeau a prouvé par l'absurde sa nécessité.

Sans même ralentir le pas, le premier ministre a balayé du revers de la main un document qui a le mérite de rappeler, à la veille du 150e anniversaire de la fédération, l'existence d'une société distincte en son sein. Au moment même où cette société manifeste son désir de se rapprocher du reste du pays !

C'est bien beau, les fêtes et les feux d'artifice, mais les anniversaires historiques servent aussi à s'arrêter, se rappeler d'où l'on vient, se demander où l'on va, se fixer un projet d'avenir, précisément ce que la politique du gouvernement Couillard cherche à faire.

Si Justin Trudeau avait pris la peine ne serait-ce que de parcourir le document, il aurait bien vu qu'on n'y cherche pas l'affrontement, qu'il n'y a pas l'ombre d'un « couteau sous la gorge ».

Il ne demande ni table constitutionnelle ni pourparlers immédiats. Il fait simplement un nombre de constats historiques et culturels. Rappelle que le Québec forme une nation. Met à jour ses revendications politiques et constitutionnelles de longue date. Et souligne sa volonté d'être plus proactif dans la fédération.

Si le Québec ne peut plus réfléchir à voix haute à la place qu'il occupe dans l'ensemble canadien... c'est bien la preuve qu'il se devait de le faire.

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Le grand mérite du document Québécois, notre façon d'être Canadiens, c'est qu'il comble un vide.

Un vide chez les fédéralistes, même les plus nationalistes, qui semblaient résignés à ne plus rien proposer, de crainte de se faire dire non. Un vide, donc, dans l'élaboration d'une vision contemporaine de la place du Québec dans l'ensemble canadien, réflexion qui, dans le grand public, semble s'être arrêtée d'un coup sec il y a 25 ans.

Ne nous contons pas d'histoires : le gouvernement Couillard a bien sûr intérêt à bomber le torse nationaliste à l'approche des élections.

Mais il fallait néanmoins une certaine audace pour ouvrir une porte qu'on pouvait aussitôt se faire claquer en pleine face.

Il fallait aussi une bonne dose d'introspection pour mettre à jour les revendications minimales qui font consensus au Québec, un exercice qu'on aurait d'ailleurs pu pousser un peu plus loin tant le contexte a changé depuis l'ère Meech.

Les autochtones, plus affirmés que jamais, prennent aujourd'hui leur place, avec raison, de telle sorte que la notion des deux peuples fondateurs a forcément évolué.

La société civile s'exprime avec plus de force, demande d'être entendue et consultée, ce qui laisse croire que l'époque où les premiers ministres pouvaient décider du sort du pays derrière des portes closes est révolue.

Et les jeunes n'ont pas vécu les référendums, les négociations passées et leurs échecs, ce qui leur permet d'aborder autrement leur double appartenance et leur double loyauté au Québec et au Canada.

Autant de raisons qui incitent à réaffirmer ce qui a disparu du débat public en même temps que les chicanes constitutionnelles et surtout, à l'actualiser. Pas pour lancer une nouvelle ronde de chicanes, mais pour rappeler qui on est sans attendre d'être obligé de le faire. Un devoir, rappelons-le, qui incombe à toute nation minoritaire intégrée à une fédération.

On n'a d'ailleurs qu'à jeter un coup d'oeil à la série caricaturale The Story of Us ou à la tentation centralisatrice de Justin Trudeau pour comprendre la nécessité de faire - et de refaire - la promotion de l'identité particulière du seul État francophone en Amérique du Nord.

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Il y a enfin ce tabou extrêmement malsain qui pèse sur la fédération : l'absence de la signature du Québec au bas de la Constitution de 1982, un embarras majeur qu'on n'essaie même plus de réparer.

L'objectif ultime de la politique d'affirmation nationale est bien sûr d'y arriver, un jour, selon des conditions bien précises. Et ce, au terme d'« une démarche rigoureuse, progressive et de longue haleine », comme dit le constitutionnaliste Benoît Pelletier.

Mais ce n'est qu'un objectif lointain, justement, qui dépasse certainement un ou deux mandats gouvernementaux, à Québec et à Ottawa.

On n'en est donc qu'au préambule du préambule, mais tout dialogue doit nécessairement commencer par un premier geste.

« Contrairement aux expériences passées, note le ministre Jean-Marc Fournier, nous souhaitons discuter, partager et mieux nous comprendre avant d'envisager des pourparlers de nature constitutionnelle. »

Le fruit n'est aujourd'hui pas mûr, on le voit bien. Ce n'est pas la fin imminente de « l'exil intérieur des Québécois ».

Mais ce n'est pas une raison pour qualifier tout cela de « distractions », pour évoquer d'autres priorités plus proches des « vraies affaires », pour fermer les yeux sur l'absence du Québec dans ce document fondateur.

Ce n'est pas une raison, surtout, pour ne pas être même capable d'envisager le début d'un dialogue qui pourrait un jour nous amener à combler cette absence lourde de sens.

Comme l'a déjà affirmé le politologue américain Arend Lijphart, cité dans le document québécois, la négation d'une nation au sein d'un ensemble plus grand ne peut que nourrir la division et, à terme, fragiliser la cohésion nationale.

Justin Trudeau l'a d'ailleurs bien compris pour les autochtones, avec qui, objectif louable, il croit nécessaire d'avoir « une relation de nation à nation ». Mais cette ouverture ne s'applique pas au Québec.

Il est vrai que la situation des Premières Nations et celle de la nation québécoise sont fort différentes. Vrai aussi que le premier ministre ne veut pas non plus ouvrir la Constitution pour les autochtones. 

Mais rien n'empêche Ottawa de se montrer aussi prêt à ouvrir le dialogue, à tout le moins, avec l'un et l'autre sur des questions fondamentales pour le pays.

Après tout, la reconnaissance mutuelle des nations qui composent la fédération est à la base même du projet dont on célèbre les 150 ans.

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