Le Parti conservateur est passé à un cheveu de se choisir un chef clivant, samedi soir, un libertarien qui polarise jusqu'à la base militante conservatrice.

Plutôt que d'élire Maxime Bernier, c'est donc Andrew Scheer qui a eu droit à une très courte majorité d'à peine un point, un jeune député de 38 ans peu connu au charisme timide. Un homme, surtout, qui cherche moins à avoir raison qu'à diriger le pays, contrairement à son rival de la Beauce qui avait promis de ne faire aucun compromis sur ses idées bien arrêtées.

On dit de Scheer qu'il est une réincarnation de Stephen Harper avec un sourire. C'est vrai, mais le Parti libéral aurait tort de le réduire à un clone jovial de son prédécesseur.

L'ancien et le nouveau chef conservateur ont certes bien des choses en commun. Conservateurs sociaux, ils s'opposent à l'avortement, mais refusent d'en faire un cheval de bataille. S'ils laissent les députés les plus à droite prendre des initiatives à ce sujet, ils ne les encouragent pas, préférant se «concentrer sur les enjeux qui maintiennent l'unité du parti».

Les deux hommes de l'Ouest ont une maîtrise fort honorable du français, avec un avantage pour le Stephen Harper des dernières années. Mais si Andrew Scheer est aussi déterminé que son ancien patron, il pourrait facilement le rattraper avec un peu de pratique.

Comme lui aussi, il fonde beaucoup d'espoir sur le fait que «les Québécois sont plus conservateurs qu'ils le pensent». Il parle du Québec comme d'«une nation». Et il a compris qu'un parti qui se prétend national doit compter des assises dans toutes les provinces, et dans les deux langues.

Là où Andrew Scheer se distingue de son prédécesseur, par contre, c'est non seulement dans le sourire qu'il affiche, mais dans l'absence d'aspérité qui l'accompagne. Comme si on ponçait le caractère rugueux de Stephen Harper au papier sablé.

L'homme a de l'entregent en plus de ne pas sembler cultiver la méfiance des journalistes, de la science et des contre-pouvoirs de son ancien chef.

Il faudra voir à l'usage, bien sûr, mais ce nouveau leader part ainsi sans trop de boulets, sans possibilité de diabolisation par ses rivaux à court terme. Il dirige en outre un parti qui n'est pas déchiré par des guerres de clans ou des clivages irréconciliables. Et il a su récolter suffisamment d'appuis au Québec pour écarter l'étiquette de «redneck» pour l'instant.

Entendons-nous, sa position favorable à la gestion de l'offre l'a certainement aidé à tirer le tapis québécois sous les pieds de Maxime Bernier. Mais déjà, en janvier dernier, l'ancien président de la Chambre des communes avait surpris en réussissant à ravir «au gars de la place» l'appui de quatre députés du Québec, un indice possible de ses talents de rassembleur.

N'empêche, la partie est loin d'être gagnée pour l'élu de la Saskatchewan. D'abord parce que Justin Trudeau est toujours populaire au pays, ensuite parce qu'il est rare qu'un parti ne fasse qu'un mandat. Mais aussi parce qu'il est proche du degré zéro en matière de notoriété, n'ayant pas réussi à attirer l'attention comme Maxime Bernier, ou pour les mauvaises raisons comme Kellie Leitch et Kevin O'Leary.

Méconnu, il devra donc réussir à attirer les caméras. Il devra se positionner plus clairement. Il devra surtout prouver qu'il est capable, autant comme chef que comme candidat, de mettre de l'eau dans son vin idéologique.

On verra alors si cet admirateur de Reagan et de Thatcher réussit à tendre la main aux conservateurs progressistes. Si ce disciple autoproclamé de Stephen Harper peut se tenir loin de la wedge politics. Si ce défenseur du pétrole canadien ayant grandi à Ottawa sait faire le pont entre l'Est et l'Ouest. Si ce jeune leader opposé à la taxe carbone est en mesure d'attirer les jeunes.

Bref, celui qui a gagné l'appui de son parti à l'arraché devra prouver qu'il est capable de rassembler non seulement la base militante de son parti, mais les électeurs canadiens de façon plus large.

Chose certaine, il a plus de chance d'y arriver qu'en aurait eu Maxime Bernier.

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