Donald Trump a-t-il vraiment voulu sortir son pays de l'ALENA ? Ou a-t-il voulu donner l'impression qu'il était prêt à en sortir ? Le décret contre l'Accord de libre-échange a-t-il vraiment été rédigé ? Ou était-ce du bluff ?

Il vaut la peine de lire The Art of the Deal de Donald Trump (et de son écrivain fantôme Tony Schwartz) avant de se faire une tête sur cette question lourde de sens pour la suite des choses.

Ce livre contient sa dose de mensonges narcissiques, c'est vrai, mais il détaille aussi les techniques préférées de l'actuel « négociateur en chef » des États-Unis. Des techniques de gros bras où tous les coups sont permis... qui ressemblent étrangement aux agissements récents du président américain.

On y apprend ainsi que le patron de Trump inc. a toujours aimé commencer ses négociations avec un coup de force, pour déstabiliser son vis-à-vis.

Rien de mieux pour y arriver que la démesure, la bravade, « la vérité exagérée », comme il écrit.

Y avait-il de cela dans son empressement à se débarrasser de l'Accord de libre-échange nord-américain « une fois pour toutes », une position qui contrastait fortement avec les « ajustements mineurs » (tweaking) qu'il souhaitait quelques semaines plus tôt ?

Possible. D'autant que ce revirement spectaculaire avait été précédé de fuites bien commodes dans Politico et CNN, qui, citant « des sources officielles », affirmaient que la procédure de retrait de l'ALENA était déjà entamée. Ne manquait, soi-disant, que la signature du président (alors qu'il a besoin de l'accord du Congrès).

Or là encore, on retrouve une technique privilégiée par l'homme d'affaires : utiliser les fuites dans les médias pour créer un levier de négociation (leverage). C'est ce qu'il avait fait en 1974 pour acheter un hôtel de New York après avoir ébruité dans tous les journaux « le désastre que serait sa fermeture pour la ville ».

N'est-ce pas ce qu'il a fait aussi en rappelant au Canada que le retrait des États-Unis de l'ALENA serait un désastre ?

N'était-ce pas un « levier », une manière de laisser planer la menace que Washington n'hésiterait pas à déchirer l'Accord à la moindre contrariété ?

« La pire approche à adopter quand vous voulez conclure un deal est d'avoir l'air d'y tenir à tout prix, écrit-il. La meilleure façon de s'y prendre est d'avoir quelque chose [...] dont il ne peut se passer. »

Une fois l'initiative prise, une fois la dynamique instaurée à son avantage, le négociateur professionnel accule son vis-à-vis au pied du mur et maintient la pression, comme il risque de le faire dans les prochains mois en raison d'un calendrier qui n'est pas à l'avantage des États-Unis (élections de mi-mandat, élections générales au Mexique, etc.).

Pas besoin de statistiques ou de colonnes de chiffres pour Trump, pas besoin d'études et de conseils d'experts, l'homme suit tout simplement son instinct, qu'il semble juger infaillible.

« Ma façon de traiter les affaires est simple et directe. Je vise haut, et puis je n'arrête pas d'augmenter la pression. Jusqu'à ce que j'atteigne mon but. »

Justin Trudeau n'a donc qu'à bien se tenir. Il semble persuadé d'avoir personnellement convaincu le président américain, de concert avec son homologue mexicain, de la pertinence de donner une chance à cette entente commerciale d'importance.

Peut-être. Mais le premier ministre doit éviter de croire que les États-Unis font une fleur au Canada en acceptant de renégocier un accord qui faisait pourtant l'affaire de tous il y a peu.

Et surtout, il doit se préparer à des négociations hors-normes, des pourparlers qui n'auront rien de civilisé, avec un négociateur qui a prouvé dans le passé qu'il était plus proche de la brute que du diplomate. « La plupart du temps, je suis aimable avec les gens. Mais quand on devient incorrect envers moi, si on me traite injustement, si on essaie de profiter de moi, mon attitude est de rendre coup pour coup. »

La méfiance est donc de mise, car s'il est parfois difficile de prendre le président Trump au sérieux, le négociateur Trump, lui, ne doit pas être pris à la légère.

Les clés du succès, selon Trump

Le plaisir

« Je fais des affaires pour le plaisir. C'est mon art à moi. Certains peignent de merveilleux tableaux, d'autres écrivent de magnifiques poèmes. Moi, je préfère les affaires, surtout les très grosses. C'est ainsi que je trouve mon plaisir. »

L'instinct

« On critique souvent Sylvester Stallone, mais il faut tout de même reconnaître qu'à quarante et un ans il a réussi à interpréter deux personnages de renommée mondiale, Rocky et Rambo. Pour moi, Stallone est une sorte de joyau à l'état brut, un génie totalement instinctif. Il sait ce que le public veut et il le lui donne. J'aime à penser que j'ai ce type d'instinct. »

Les gènes

« Le sens des affaires est inné. Vous l'avez dans vos gènes ou pas. Je dis ça sans prétention. Ça n'a rien à voir avec l'intelligence. Il faut tout de même ne pas être totalement idiot, mais l'essentiel reste toujours l'instinct. On peut choisir le plus brillant élève, celui qui a les meilleures notes et le QI le plus élevé. S'il n'a pas l'instinct, il ne fera jamais un bon homme d'affaires. »

L'exagération

« J'ai choisi de mener un certain style de vie. Résultat, les journalistes ont toujours voulu parler de moi. Voilà pourquoi un peu d'exagération ne nuit pas. Les gens aiment croire que quelque chose est ce qu'il y a de plus grand et de plus spectaculaire au monde. J'appelle cela la vérité exagérée. C'est une forme innocente d'exagération et une forme efficace de promotion. »

L'agressivité

« Dès l'école primaire, je me suis montré sûr de moi et agressif. Lorsque j'étais en cinquième, mon professeur de musique s'est retrouvé avec un oeil au beurre noir. Je lui avais donné un coup de poing, car j'estimais qu'il n'y connaissait rien en musique. »

L'affrontement

« Il faut toujours rester positif, pourtant il y a des cas où la seule issue est l'affrontement. La plupart du temps, je suis aimable avec tout le monde. Je suis toujours courtois avec les gens qui sont corrects envers moi. Mais quand on devient incorrect, si on me traite injustement, si on essaie de profiter de moi, mon attitude est, et a toujours été, de rendre coup pour coup. »

Sources: The Art of the Deal et Trump par Trump (Donald Trump et Tony Schwartz)

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