La transition est en cours.

Déjà quatrième au monde pour sa production d'énergie renouvelable, le Canada en ajoute chaque année, au point où l'hydro, le solaire et l'éolien représentent aujourd'hui les deux tiers de la capacité énergétique totale au pays.

Parallèlement, le gouvernement Trudeau ose s'aventurer là où ses prédécesseurs refusaient d'aller, avec un échéancier accéléré pour la fermeture des centrales au charbon (2030), une cible ambitieuse pour que l'électricité provienne presque uniquement de source renouvelable (90 % en 2030) et un prix sur le carbone d'un océan à l'autre (de 10 $ la tonne en 2018 à 50 $ en 2022).

Le Canada, reconnaissons-le, marche dans la bonne direction. Mais voilà. Pour que tout le monde embarque, pour que l'ensemble des régions apportent leur contribution, pour que l'Ouest se joigne à l'effort national plutôt que de le freiner, Ottawa doit aider les provinces pétrolières... à aider le pays.

Les pipelines constituent en effet une monnaie d'échange pour le gouvernement libéral, une façon d'acheter la participation de provinces comme l'Alberta, sans qui les efforts climatiques des provinces plus volontaires seront tout simplement inutiles.

On l'a d'ailleurs vu au cours des dernières décennies, alors que les réductions de gaz à effet de serre du Québec étaient largement annulées par une hausse plus importante à l'autre bout du Canada.

Pour éviter cette situation, toutes les provinces pétrolières doivent apporter leur contribution, et pas juste pour gonfler la péréquation. L'Alberta, en particulier, doit éliminer complètement le recours au charbon, taxer les émissions de carbone, réduire la quantité de gaz à effet de serre émise pour chaque baril de pétrole et, surtout, fixer un plafond absolu à la quantité d'émissions que produisent chaque année les sables bitumineux.

Utopique ? Au contraire, c'est - très précisément - ce à quoi l'Alberta de Rachel Notley s'est engagée. Autant de mesures fortes, difficiles à faire passer là-bas, surtout quand on sait qu'aucun pays producteur de pétrole n'a jusqu'ici limité volontairement sa production, mais qui ont néanmoins été adoptées... à la condition tacite que le fédéral facilite l'écoulement du pétrole que la province continue de produire, notamment vers l'étranger.

Dans le contexte où les néo-démocrates sont au pouvoir en Alberta et les libéraux à Ottawa, un mariage favorable aux mesures climatiques audacieuses qu'on ne reverra peut-être pas de sitôt, la décision de donner le feu vert à Trans Mountain (Kinder Morgan) et à la ligne 3 (Enbridge) est une décision certes déplaisante, mais pragmatique pour équilibrer économie et environnement.

C'est d'autant plus le cas qu'il s'agit des deux pipelines les moins dommageables pour les écosystèmes naturels puisqu'ils sont déjà enfouis. Trans Mountain est un pipeline largement existant dont on augmentera la capacité, tandis que la ligne 3 est une conduite vétuste qu'on va refaire et agrandir.

On ne construit pas un nouvel oléoduc en pleine forêt pluviale, comme Northern Gateway. On n'implante pas un pipeline de l'Ouest jusqu'aux Maritimes, comme Énergie Est (bien difficile de voir comment ce projet pourrait maintenant être approuvé, d'ailleurs, avec le plafond d'émissions de l'Alberta et l'approbation probable de Keystone XL par nos voisins).

Et on n'ajoute pas non plus de nouveaux départs de trains, car voilà la solution de rechange, voilà la solution actuellement préconisée : d'interminables et périlleux convois chargés de pétrole qui sillonnent le continent dans tous les sens. Une solution autrement plus risquée que la bonification de deux pipelines déjà enfouis, bien encadrés, dont on connaît le tracé.

Cela ne nous empêche nullement de travailler en parallèle à la réduction de la consommation de pétrole. Car les pipelines ne créent pas spontanément de nouveaux utilisateurs de pétrole, comme l'a écrit le professeur de HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau il y a quelques jours. Ils ne font que répondre à une demande, laquelle existe avec ou sans agrandissements d'oléoducs.

« Accepter des pipelines ne doit pas être vu comme un recul dans la lutte contre les changements climatiques - même si ce n'est évidemment pas une avancée, a-t-il écrit. C'est un peu comme les sites d'injection supervisée pour les héroïnomanes : ce n'est en aucun cas un encouragement du gouvernement à l'utilisation de drogues. La lutte contre les changements climatiques doit passer par une réduction de nos besoins énergétiques, de notre dépendance. »

On peut ainsi voir la stratégie fédérale sur le climat comme une chaise à quatre pattes : l'action du fédéral pour réduire la consommation et les émissions, les mesures prises par l'ensemble des provinces, l'agrandissement des pipelines existants et le grand plan national... qu'on attend avec vive impatience pour confirmer la compatibilité promise des pipelines avec les cibles climatiques du pays.

Il suffit que l'une ou l'autre de ces pattes soit manquante pour que l'ambitieuse stratégie du gouvernement Trudeau s'effondre.

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