Le sculpteur Alexandre Calder serait certainement bien fier de voir L'Homme, une de ses oeuvres phares, propulsées dans le débat public, près de 50 ans après sa création. Mais il s'opposerait fort probablement à son déménagement hors de l'île Sainte-Hélène...

Suggérée par l'homme d'affaires et collectionneur Alexandre Taillefer, la délocalisation de la plus importante oeuvre de Montréal vise à accroître sa visibilité. Loin du centre-ville, elle n'attirerait pas autant de regards, de visiteurs et de touristes qu'elle le devrait.

L'argument se défend. D'autant qu'il a été évoqué dans le passé, lors du déménagement de La Joute de Riopelle, un geste nécessaire dont on applaudit aujourd'hui la pertinence.

Mais autant la délocalisation de La Joute est un succès... autant le déracinement de L'Homme serait un impair.

D'abord, rappelons-nous l'état lamentable dans lequel se trouvait La Joute avant de quitter le Parc olympique. Négligée par la RIO qui avait jeté une de ses composantes aux ordures, cachée du public, abandonnée, elle criait au secours jusqu'à ce qu'on la délivre de son triste sort.

À l'inverse, L'Homme a joui d'une restauration complète. Il a été déplacé au bord du fleuve il y a quelques années pour être davantage contemplé. Et il connaît une formidable appropriation grâce à des événements festifs ponctuels qui, en plus des visiteurs réguliers de ce coin du Parc, attirent près d'un million de personnes par année.

Ensuite, la situation du «stabile» de Calder ne répond à aucun des critères de déménagement d'oeuvres de la Ville. Le site ne sera en rien modifié. Le lieu public qui l'entoure est toujours aussi accueillant. Et l'environnement physique ne menace nullement l'oeuvre, contrairement au monument aux Patriotes de Laliberté, par exemple, qui croupissait sous le pont Jacques-Cartier avant qu'on lui trouve un lieu plus approprié.

Enfin, L'Homme a été créé par Calder spécifiquement pour le lieu qui l'accueille, contrairement à La Joute. L'oeuvre de Riopelle a en effet été fondue en 1974 sans certitude quant à son emplacement. Les anneaux olympiques qui l'ornent ont été ajoutés quatre ans plus tard.

Il en va tout autrement de L'Homme, un des derniers vestiges forts de l'Exposition universelle, une sculpture qui a été conçue en fonction du thème de l'événement, l'homme.

Bien entendu, les oeuvres sont dynamiques. Elles peuvent changer en fonction des époques. Mais encore faut-il qu'il y ait de bonnes raisons de transgresser les intentions initiales de l'artiste. Pensons au Mastodo de Daudelin miné avec le temps par le désolant et dangereux square Viger. Ou à la fonte modulaire de Robert Roussil que le Vieux-Port dissimule aux regards derrière une clôture Frost.

Certes, Montréal profiterait de la présence d'une oeuvre maîtresse. Mais le geste aurait une portée et une valeur symbolique beaucoup plus fortes s'il émanait d'un artiste québécois que du déplacement contestable d'une oeuvre existante.

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