Le temps de Michael Applebaum est compté, et cela n'a rien à voir avec les enquêtes de la commission Charbonneau. Élu maire le 16 novembre dernier, son mandat intérimaire se terminera le 3 novembre, ce qui lui donne à peine un an pour faire sa marque. Trop peu? C'est ce que François Cardinal a tenté de cerner en demandant à une quinzaine de personnalités montréalaises de dresser une liste des travaux les plus urgents qu'il pourrait accomplir à plus ou moins court terme. Les voici résumés en 12 travaux...

1. ÉLABORER UNE POLITIQUE FAMILIALE AUDACIEUSE

Le Plan d'action famille 2008-2012 est un échec. Il n'a pas réduit le déficit migratoire de l'île de 25% et ne semble même pas avoir ralenti l'exode des jeunes familles vers la banlieue. Un nouveau plan s'impose donc, selon Christian Savard, de Vivre en ville.

«Montréal doit se montrer audacieuse pour garder et attirer les familles, croit-il. Les idées ne manquent pas: règles favorisant la densité à échelle humaine, transport en commun gratuit pour les plus jeunes, apaisement de la circulation, etc.»

«Il faut aussi faire appel à la réglementation et aux mesures fiscales pour que les jeunes familles profitent d'une offre plus importante de logements abordables et spacieux», renchérit Steven Guilbeault, d'Équiterre.

2. OBTENIR UNE DIVERSIFICATION DES REVENUS

Le Canada étant une ancienne colonie britannique, il a conservé un certain nombre de traditions de l'empire, dont l'immense dépendance à l'impôt foncier des municipalités. Ce à quoi n'échappe pas la métropole, qui tire les deux tiers de ses revenus du foncier, sans accès à une taxation qui croît avec l'économie.

«Québec doit absolument permettre à Montréal de diversifier davantage ses revenus, croit Yves Bellavance, de la Coalition montréalaise des Tables de quartier. Il s'agit d'une nécessité si Montréal veut se développer sans écraser ses citoyens sous le poids de l'augmentation sans fin de l'impôt foncier.»

3. RÉORIENTER LE PROJET DE L'HIPPODROME

Sur les cendres de Blue Bonnets, Montréal souhaite édifier un village urbain du XXIe siècle, c'est-à-dire un quartier développé autour du transport collectif.

«Or, on s'apprête à créer près de 10 000 nouveaux logements sur un site... mal desservi par le transport en commun, déplore André Bourassa, de l'Ordre des architectes du Québec. Le maire doit clarifier l'orientation de ce projet s'il veut en faire un quartier exemplaire, comme BedZED et Bo01, cités en exemple.»

Florence Junca-Adenot, de l'UQAM, abonde dans le même sens. «Il faut utiliser ce projet pour mettre en place un processus modèle de développement urbain correspondant aux critères les plus exigeants d'innovation, de principes durables, de concertation et de planification.»

4. REDONNER AU MONT ROYAL LA PRIORITÉ

Bien qu'il ait eu droit à une attention à intensité variable durant les mandats de Gérald Tremblay, le mont Royal s'est imposé comme priorité sur le tard. Mais aujourd'hui, avec le sort incertain du 1750 Cedar, l'abandon imminent des propriétés hospitalières et l'ombre grandissante des tours à condos, il faut réaffirmer l'importance de la montagne.

«Le maire doit défendre la place identitaire qu'occupe le mont Royal dans le paysage et dans la qualité de vie des citoyens, estime Sylvie Guilbault, des Amis de la montagne. Il doit par exemple garantir que la transformation à venir des propriétés institutionnelles se fera au bénéfice de la communauté.»

Autre idée, évoquée par Gérard Beaudet de l'Université de Montréal: faire du chalet de la montagne «un incontournable, aussi bien pour les Montréalais que pour les visiteurs, notamment du point de vue alimentaire».

5. AUGMENTER LA TAXE SUR L'ESSENCE DE 5¢ EN 10 ANS

Le financement du transport collectif est à un moment charnière. La Politique sur le financement du transport collectif est à renouveler au moment où Québec affiche un préjugé favorable à cet enjeu, note Christian Savard, de Vivre en ville. «Le maire doit donc mettre tout son poids politique pour faire avancer ce dossier», ajoute-t-il.

Plus concrètement, le maire Applebaum doit convaincre Québec d'augmenter progressivement la taxe sur l'essence de 5¢ en 10 ans dans la région afin de financer le transport en commun, précise Michel Leblanc, de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

6. ACCÉLÉRER LA RÉALISATION DU PLAN DE TRANSPORT

Le Plan de transport a été encensé lors de sa publication en 2008 en raison des mesures de mobilité durable proposées. Mais les réalisations n'ont pas été à la hauteur des promesses, se désole Dominique Sorel, du Centre d'écologie urbaine de Montréal.

«Le maire doit s'assurer que la Ville fasse sa part en investissant des ressources pour la mise en oeuvre rapide du plan, en particulier pour les cinq projets de quartiers verts en cours», précise-t-elle.

Même son de cloche de la part de Paul Lewis, de l'Université de Montréal. «Un coup de barre doit être donné, notamment pour mettre en place des aménagements favorables aux piétons et aux cyclistes ainsi que des corridors de transport rapide.»

7. COMPLÉTER LE RÉSEAU CYCLABLE

Le réseau cyclable a connu des avancées importantes au cours des cinq dernières années. «Cependant, tempère Suzanne Lareau, de Vélo Québec, certains liens sont toujours manquants, ce à quoi le maire Applebaum devrait s'attaquer rapidement. La popularité des déplacements à vélo à Montréal est telle qu'une augmentation du budget d'aménagements cyclables, qui oscille actuellement autour de 10 millions par année, s'impose.»

En terme de priorités, Vélo Québec suggère deux importants parachèvements. L'axe sud-nord à proximité du boulevard Saint-Laurent et l'axe est-ouest, aux extrémités du boulevard de Maisonneuve.

8. REDONNER CONFIANCE AUX CITOYENS

Sur le plan politique, la priorité du maire est de redonner confiance aux Montréalais. «Pour ce faire, croit Paul Lewis, de l'Université de Montréal, il doit s'assurer qu'ils sont bien informés des enjeux urbains et des processus décisionnels, condition sine qua non au rétablissement d'une démocratie saine.»

Il propose la révision du mandat de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM) afin que tous les grands projets soient soumis à une consultation publique menée en bonne et due forme.

Dans le même sens, Dominique Sorel, du Centre d'écologie urbaine, croit que le maire doit mettre l'Office à profit afin d'expérimenter le budget participatif dès le prochain exercice budgétaire.

9. FIXER DES OBJECTIFS D'AGRICULTURE URBAINE ET DE VERDISSEMENT

À la suite d'une pétition de près de 30 000 noms, la Ville n'a eu d'autre choix que de tenir une consultation publique sur l'agriculture urbaine, l'an dernier. «Elle a donc une obligation de résultat, selon Dominique Sorel, du Centre d'écologie urbaine. Le maire doit veiller à répondre rapidement aux recommandations émises par l'Office de consultation publique en mettant en place un comité de suivi composé des principaux acteurs de l'agriculture urbaine.»

Et qui dit agriculture, dit aussi verdissement. Ce qui incite Coralie Deny, du Conseil régional de l'environnement de Montréal, à rappeler l'existence du Plan d'action canopée et de son objectif: la plantation de 30 0000 arbres de plus en 10 ans sur les terrains publics et privés.

10. RELANCER L'ACTIVITÉ COMMERCIALE ET ÉCONOMIQUE

Les manifestations du printemps dernier, le lock-out dans la LNH et l'engouement que suscitent de nouvelles options comme le Quartier DIX30 menacent le dynamisme commercial du centre-ville, selon Michel Leblanc, de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. «Le maire doit donc prendre le leadership et lancer une offensive majeure pour améliorer l'expérience de commerce sur rue au centre-ville», à son avis.

Toujours pour éviter l'exode, mais cette fois vers l'étranger, Alexandre Raymond, de la Jeune Chambre de commerce de Montréal, demande au maire et aux autres élus de «tout mettre en oeuvre pour maintenir les sièges sociaux établis à Montréal afin de retenir nos diplômés et attirer des jeunes immigrants qui possèdent des compétences clés».

11. DÉVELOPPER DES MÉCANISMES TRANSPARENTS ET ÉQUITABLES

En terme de développement, le maire Applebaum doit jouer à l'équilibriste, resserrant les mécanismes de contrôle... sans ralentir la machine, note Florence Junca-Adenot, de l'UQAM.

«Les mécanismes de contrôle mis en place depuis 2009 ont beaucoup ralenti les travaux. À peine 30% des projets du budget triennal sont entamés. D'où le travail à entreprendre d'alléger les processus tout en conservant les contrôles les plus efficaces et pertinents, en rendant les responsables imputables, et en développant un esprit de collaboration dans la fonction publique. Mais parallèlement, la Ville doit mettre en place des mécanismes d'octroi de contrat transparents et équitables.»

12. DÉVELOPPER LES QUARTIERS CULTURELS

L'une des priorités du Plan d'action culturel 2007-2017 est d'«enrichir la qualité du cadre de vie» en développant des quartiers culturels, en mettant en valeur leurs spécificités artistiques, leur patrimoine, leur architecture, etc.

«Il faut donc assurer la présence d'espaces de création et de rencontres pour les artistes ainsi que pour l'ensemble des citoyens dans nos quartiers», lance Nancy Neamtan, du Chantier de l'économie sociale.

Cela passe notamment par une hausse des budgets des arrondissements afin d'accroître le nombre et la proximité des lieux de création et de diffusion, mais aussi par une amélioration de la signalisation dans le métro, pour mieux identifier les sites culturels, selon Charles Lapointe, du Conseil des arts de Montréal.

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