Un jury californien vient de créer un précédent spectaculaire en reconnaissant que le cancer d'un jardinier pouvait être lié à son utilisation de pesticides à base de glyphosate. Monsanto promet de se battre en appel, mais il n'est pas au bout de ses peines. Des milliers d'autres causes poussent aux portes des tribunaux américains, et son produit vedette est remis en question ailleurs dans le monde. C'est à se demander si le fabricant réussira à en venir à bout.

Le lymphome non hodgkinien qui ronge le jardinier Dewayne Johnson a-t-il été causé par les herbicides Roundup et Ranger Pro qu'il utilisait abondamment dans son travail ? Les jurés assignés au procès en cour supérieure de la Californie ne sont pas allés jusque-là, mais ils ont conclu que Monsanto ne l'avait pas suffisamment mis en garde contre les risques encourus, et que c'est un facteur important dans le préjudice qu'il a subi.

Pour Monsanto, qui avait jusqu'alors réussi à convaincre la plupart des autorités réglementaires que le glyphosate n'est pas cancérigène, c'est une gifle retentissante.

Son président a beau rappeler que « l'opinion du jury ne change pas la science », ce verdict a donné un élan à tous les patients et leurs proches qui ont entamé des recours devant les tribunaux - seulement aux États-Unis, ils sont quelques milliers.

Les marchés l'ont bien compris : tout cela risque de coûter une fortune en frais juridiques au cours des prochaines années. Le titre de la multinationale allemande Bayer, qui a acquis Monsanto, a dégringolé à la Bourse de Francfort cette semaine. Malgré un léger regain vendredi, il a quand même terminé la semaine en baisse de plus de 15 % par rapport au vendredi précédent.

Il faut dire que le glyphosate est assailli sur plusieurs fronts.

Monsanto a subi un autre coup dur cette semaine, alors que la Cour suprême de la Californie a refusé d'entendre sa requête visant à empêcher l'inscription du Roundup sur la liste des « cancérogènes connus » de l'État. Et elle attend la suite du processus judiciaire au Brésil, où une juge a récemment décidé de suspendre l'enregistrement des produits contenant du glyphosate à compter de septembre prochain.

Cet herbicide, on s'en souvient, avait essuyé un premier revers significatif il y a trois ans, lorsque le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'avait étiqueté « probablement cancérogène pour les humains », une catégorie qui regroupe une centaine d'agents, dont le DDT et l'uréthane. Le CIRC a abouti à une telle conclusion parce qu'il considère uniquement les études scientifiques publiques et réalisées par des experts indépendants, alors que les agences gouvernementales comme celles du Canada, des États-Unis et de l'Union européenne acceptent de tenir compte de données non publiées fournies par les entreprises.

Du point de vue économique, cette façon de faire a bien servi Monsanto, puisqu'elle lui a assuré l'essentiel : les homologations nécessaires pour commercialiser ses produits. Pour regagner la confiance du grand public, par contre, on repassera. Les documents internes qu'un juge américain a refusé de mettre sous scellés l'an dernier n'ont pas aidé. Sur les 289 millions de dollars américains accordés dans l'affaire Johnson, le jury a accordé 250 millions en dommages exemplaires, en se disant convaincu que Monsanto avait fait preuve « de malveillance ou d'abus d'autorité ».

Tout cela ne change rien aux ventes, réalisées en majorité auprès d'une clientèle d'agriculteurs qui apprécient les caractéristiques fonctionnelles de ses produits. Mais ça ne l'aide pas sur le front de l'opinion publique qui, on le voit, a plus de chances d'influencer les décisions des tribunaux que celles des agences gouvernementales.

La résistance au glyphosate se propagera-t-elle à d'autres tribunaux, jusqu'à gagner les autorités réglementaires ?

Si l'herbicide le plus utilisé au monde, qui est d'ailleurs commercialisé par plusieurs fabricants, devenait officiellement reconnu comme un problème à régler, il faudra aussi reconnaître qu'il n'y a pas de solution facile.

Les agriculteurs, par exemple, risquent de devoir utiliser des produits de rechange plus nocifs.

Au-delà des poursuites visant les fabricants, c'est au manque de ressources pour mener des recherches indépendantes sur leurs substances qu'il faudrait s'attaquer. Le directeur de l'Observatoire des sciences et des technologies de l'UQAM cite le modèle de l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), dont la majeure partie du financement est fournie par la CNESST à même les cotisations perçues auprès des employeurs. « L'argent nécessaire pour ces études, on doit le réclamer de l'industrie, mais le mettre dans un fonds », fait valoir Yves Gingras.

Obliger des géants de plus en plus imposants comme Bayer, qui a gobé Monsanto, à financer l'évaluation de leurs produits sans interférence ? Pas évident. Mais pour les travailleurs qui utilisent ces substances et les citoyens inquiets de leurs effets environnementaux, ce serait nettement mieux que d'avoir à attendre, pour espérer faire bouger les choses, qu'une victime de cancer réussisse à arracher quelques centaines de millions de dollars devant les tribunaux.

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