À moins d'un revirement de dernière minute, le Canada commencera à appliquer ses nouveaux tarifs douaniers sur une kyrielle de produits américains dès demain.

Dans la plupart des cas, toutefois, cette surtaxe mettra un certain temps à se refléter sur les prix en magasin. Dans l'immédiat, les principales victimes de cette guerre commerciale au Canada ne seront donc pas les consommateurs, mais les entreprises. Et malheureusement, rien ne nous permet de croire que ça va se régler rapidement.

Amateur de Jack Daniel's, de Maker's Mark ou de Basil Hayden's ? Pas de panique. Pour ces spiritueux, qui font partie des 20 whiskies américains les plus vendus à la Société des alcools du Québec, la SAQ dispose d'environ sept semaines de stocks, et ne prévoit pas d'augmentation de prix avant août. À partir de là, le tarif de 10 % appliqué à la frontière canadienne se traduira par une hausse de 1,45 $ à 4,00 $ par bouteille... ou pas. En effet, pour ces produits-là comme pour les autres whiskies plus spécialisés, les fournisseurs américains pourraient décider d'absorber eux-mêmes la taxe, afin d'éviter une hausse de prix susceptible de faire fuir la clientèle.

Que ces distilleries paient la surtaxe de leur poche, ou qu'elles subissent une baisse de demande canadienne, le résultat sera le même : elles vont souffrir de la guerre commerciale déclenchée par l'administration Trump, et s'en plaindre.

C'est du moins ce que souhaite le gouvernement Trudeau en ciblant les spiritueux du Kentucky et du Tennessee, et d'autres denrées provenant de régions susceptibles d'avoir l'oreille du président (jus d'orange de Floride, yogourts et sauce soya du Wisconsin, chocolats et bonbons de Pennsylvanie, etc.).

Ottawa espère ainsi convaincre Washington de renoncer à ses propres tarifs sur l'aluminium et l'acier canadiens.

C'est une stratégie qui a bien marché en décembre 2015, alors qu'une autre liste de produits américains, dont le vin, était sur le point d'entrer en vigueur. Sous la pression, notamment, des grands vignobles californiens, le Congrès américain a aboli les règles d'étiquetage du pays d'origine sur le porc et le boeuf, une mesure protectionniste qui coûtait des centaines de millions de dollars par an aux producteurs canadiens. Le président Obama a signé la loi quelques jours plus tard, et Ottawa n'a finalement pas eu besoin d'appliquer ses tarifs.

Sauf qu'avec ce président sourd à toutes les inquiétudes, y compris celles d'élus républicains et de très gros employeurs américains, on ne peut pas compter sur un revirement de dernière minute. Le Canada va devoir vivre avec les conséquences de ses tarifs. Et dans bien des cas, ça s'annonce pas mal plus complexe à gérer que le whisky.

Bien que certains produits, comme les purées et gelées de fruits, aient finalement été exemptés, d'autres ingrédients utilisés dans la préparation d'aliments risquent de causer des maux de tête aux transformateurs. Les substituts peuvent être longs à trouver, et les coûts supplémentaires sont difficilement transférables aux clients.

La surtaxe crée aussi beaucoup d'incertitude chez les détaillants, en particulier ceux qui vendent des articles coûteux comme des électroménagers ou des bateaux. Les clients reporteront-ils leurs achats - ce qui serait désastreux pour les ventes ?

Et il y a tous les tarifs sur des composants d'aluminium ou d'acier américains, qui ne touchent pas directement les consommateurs, mais frappent de plein fouet les PME qui les utilisent. Le gouvernement Trudeau a promis d'atténuer le choc hier, en annonçant deux milliards de dollars de mesures de soutien aux secteurs de l'aluminium, de l'acier et de la fabrication. N'empêche, c'est une véritable guerre des nerfs qui s'amorce.

Plus encore que l'effet de nos tarifs, c'est la perspective d'une surenchère américaine qui inquiète les entreprises. Avec raison, car le président Trump n'a pas été avare de menaces à cet égard.

« Nous sommes préparés à pas mal n'importe quoi », a lancé la ministre Chrystia Freeland, hier. En cette veille de Fête du Canada, la population aurait intérêt à se mettre dans le même état d'esprit, au moins pour quelques mois. Donald Trump a beau voir ses offensives protectionnistes contestées de toutes parts aux États-Unis, il continue à y croire dur comme fer. À l'approche des élections de mi-mandat, il ne faut pas s'attendre à ce qu'il change de disque, mais à ce qu'il monte le volume.

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