Si le président américain veut remplacer l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) par des accords bilatéraux avec le Canada et le Mexique, il devra faire plus que de faire passer le message par son conseiller économique à Fox News. D'ici là, le Canada a tout intérêt à faire front commun avec le Mexique.

Ce n'est pas une révélation : le président Trump n'a jamais caché sa préférence pour les négociations bilatérales. Le conseiller économique principal de la Maison-Blanche, Larry Kudlow, a remis le sujet d'actualité mardi en déclarant que le président envisageait «très sérieusement» d'amener les négociations de l'ALENA sur ce terrain. «Sa préférence, maintenant, et il m'a demandé de la communiquer, est de négocier séparément avec le Canada et le Mexique», a-t-il déclaré en entrevue à Fox & Friends, l'émission matinale préférée de Donald Trump.

Affirmant avoir parlé la veille à une personne haut placée dans l'entourage du premier ministre Trudeau, Larry Kudlow a dit attendre la réaction du Canada.

Il en a eu pour son argent. Le ministre du Commerce international, la ministre des Affaires étrangères et le premier ministre ne se sont pas contentés de rejeter cette idée. Ils en ont profité pour répéter haut et fort leur attachement à un accord tripartite.

Bref, l'appel du pied du président américain a laissé ses partenaires économiques de glace. Avec raison, puisqu'ils n'ont aucun intérêt à se commettre.

Pour pouvoir nouer deux accords bilatéraux distincts, il faudrait d'abord en finir avec l'ALENA. Donald Trump a maintes fois menacé de signer le préavis de six mois nécessaire à un retrait de l'accord, mais il ne semble plus aussi tenté. «Le président ne va pas quitter l'ALENA, il ne va pas s'en retirer», a d'ailleurs assuré Larry Kudlow. Et même si le président changeait d'idée, rien ne dit que le Congrès, qui a compétence sur le commerce international, laisserait passer ça.

Plus encore que la faisabilité du projet, c'est sa désirabilité qui pose problème. Si certains commentateurs canadiens ont flirté avec l'idée de laisser tomber le Mexique au début de la renégociation, l'attrait de ce partenaire ne fait désormais plus de doute - surtout depuis l'imposition des tarifs américains sur l'aluminium et l'acier, jeudi dernier. Les tarifs canadiens annoncés en guise de représailles ont beau avoir été conçus pour un maximum d'impact, les tarifs mexicains risquent de frapper davantage, ne serait-ce qu'à cause de la taille du marché.

Le Mexique, par exemple, est le plus gros importateur de porc américain. Ses droits de 20% seraient dévastateurs, estime le Conseil national des producteurs de porc américain. Et c'est sans compter les tarifs imposés sur d'autres denrées, ainsi que sur des produits d'acier - le Mexique, comme le Canada, est un importateur net d'acier américain.

«Nous devons rester avec les Mexicains, à la fois à cause du contexte de l'ALENA et à cause de la façon dont ça se déroule sur la scène internationale. La coordination s'impose», souligne le président du Rideau Potomac Strategy Group, Eric Miller. Et si jamais l'administration Trump va de l'avant avec son idée d'imposer, encore au nom de la sécurité nationale, des tarifs sur les importations de véhicules et de pièces automobiles, ce sera encore plus nécessaire, prévient ce consultant établi à Washington.

Ce n'est pas pour demain, puisque l'enquête du département américain du Commerce sur l'automobile commence à peine. Mais pour ce secteur étroitement intégré, dont les composants circulent sur le territoire de l'ALENA comme sur le terrain d'une seule et même immense usine, l'imposition de droits de douane à chaque passage à la frontière américaine serait désastreuse. Raison de plus pour renégocier un accord satisfaisant pour les trois parties, afin d'écarter cette dangereuse tentation une fois pour toutes.

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