Temps supplémentaire obligatoire (TSO), personnel insuffisant et à bout de souffle : les conditions de travail dénoncées depuis plusieurs semaines par les infirmières n'ont rien de neuf. Ce qui est nouveau, c'est qu'elles semblent être écoutées à Québec. Vont-elles enfin réussir à faire renverser la vapeur ?

Il n'y a rien de plus facile que de faire éclater une crise dans notre système de santé. Celui-ci est tellement vaste et sollicité qu'il y a toujours une zone sensible quelque part. Une urgence ou une liste d'attente qui débordent, une aberration bureaucratique : pas besoin de gratter très fort pour que le bobo se mette à saigner. D'habitude, ça se calme rapidement, parce qu'un ministre promet de s'en occuper et qu'à force de gratter, on se rend bien compte que c'est moins spectaculaire et plus complexe qu'à première vue.

Ce ne sera pas aussi simple avec les infirmières. Les plaies qu'elles dénoncent ne sont pas présentes partout, mais elles sont tellement criantes qu'il serait bien difficile de les minimiser - même le ministre Barrette ne s'y est pas risqué.

C'est vrai, les infirmières ont la sympathie du public. Mais ça non plus, ce n'est pas nouveau et pourtant, elles n'ont jamais réussi à utiliser ce capital de sympathie pour faire changer la donne. Il y a plus.

Les infirmières se sont davantage fait entendre ces dernières années, en particulier par la voix de Régine Laurent, qui a présidé la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), l'un des principaux syndicats de la profession, jusqu'à la fin de 2017 (Nancy Bédard a pris le relais en décembre).

La FIQ ne s'est pas contentée de déclarations. En soutenant financièrement SABSA, la première clinique infirmière de la province, elle a contribué à faire la démonstration concrète de ce modèle, courant en Ontario mais dont Québec n'avait jamais voulu rien savoir. Et même si les maigres fonds publics finalement obtenus par SABSA sont loin de suffire à son fonctionnement, et que le gouvernement n'a aucune intention d'ouvrir ses propres cliniques infirmières, d'autres ont essaimé dans le secteur privé.

Le message passé dans les facultés de sciences infirmières, notamment à l'Université Laval et à l'Université de Montréal, y est sans doute aussi pour quelque chose. « La formation universitaire ne doit pas seulement former du monde pour aller à l'hôpital. Il faut renforcer leur autonomie, leur fierté, leur faire prendre conscience du rôle qu'elles jouent dans la société », souligne le professeur Bernard Roy, de l'Université Laval.

À cela s'ajoute un certain nombre de sentences arbitrales et de jugements rendus au cours des dernières années. On pense notamment au Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) qui, à la fin de 2014, s'est fait dire que son recours systématique au temps supplémentaire pour combler les absences des infirmières contrevenait à la convention collective. Et à ces deux jugements ayant conclu que les travailleurs d'agences sont des employés de l'hôpital. Ces décisions n'ont pas révolutionné le système de santé (celle sur le temps supplémentaire s'appuie sur une particularité de la convention du CHUQ, et celles sur les travailleurs d'agences sont en suspens), mais elles sont venues confirmer que certaines de ses pratiques sont inacceptables.

Pour l'instant, les projecteurs sont braqués sur les conditions de travail, mais à cela s'ajoute un autre problème de longue date : la difficulté, pour beaucoup d'infirmières, de faire pleinement le boulot pour lequel elles ont été formées. Un non-sens dont il va falloir aussi s'occuper.

Après des années de blocage, les infirmières semblent enfin avoir un début de commencement de rapport de force. Le contexte préélectoral n'y est pas étranger, mais le prochain gouvernement, quel qu'il soit, n'aura d'autre choix que de s'y atteler aussi, parce que ni les problèmes ni les revendications ne semblent près de s'éteindre.

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