Un an après le lancement de l'ambitieuse Stratégie en matière de saine alimentation du fédéral, Santé Canada s'attire de vives critiques de l'industrie alimentaire. Plusieurs associations se plaignent de ne pas avoir été suffisamment consultées et impliquées dans la conception des nouveaux symboles nutritionnels que le gouvernement veut imposer sur le devant des emballages. Santé Canada, qui s'est souvent fait reprocher de trop tenir compte des intérêts du secteur privé, réussira-t-elle à faire prévaloir sa vision ?

« Santé Canada s'est égarée sur la question de l'obésité, cette rencontre en a fait une excellente démonstration », dénonce le président de Fabricants de produits alimentaires du Canada dans une lettre au sous-ministre adjoint Pierre Sabourin le 5 octobre dernier.

L'organisation, qui représente des transformateurs, est particulièrement dure à l'endroit du Ministère, lui reprochant de ne pas avoir prouvé que les éléments visuels envisagés influenceraient le comportement du consommateur. Mais elle est loin d'être la seule à la presser de rajuster le tir, révèle la correspondance que nous avons consultée.

Plusieurs autres intervenants, dont l'Association canadienne des boissons (qui représente de grands embouteilleurs comme Coca-Cola et PepsiCo), Produits alimentaires et de consommation (la plus grosse association de fabricants agroalimentaires au pays) et le Conseil canadien du commerce de détail ont écrit à Santé Canada pour lui faire part de leurs doléances ou de leurs inquiétudes, lui demander de les inclure davantage et, même d'assouplir ses critères.

Santé Canada a présenté l'an dernier des modèles de pictogrammes qu'elle souhaite rendre obligatoires sur les emballages d'aliments et de boissons. Ces images en noir et blanc apparaîtraient sur le devant du produit ayant une teneur élevée en sodium, en sucres ou en gras saturés. Ils complémenteraient le tableau de la valeur nutritive, qui est moins en évidence et, surtout, mal compris et sous-utilisé en raison de sa grande complexité.

Plusieurs autres pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la France, le Mexique et le Chili ont implantés des systèmes de ce type. Plusieurs sont facultatifs, et permettent de signaler à la fois les aspects positifs et négatifs (faible en sucres même si riche en gras, par exemple).

L'approche de Santé Canada est nettement plus interventionniste. Ses pictogrammes obligatoires visent à mettre les consommateurs en garde contre la présence élevée de trois nutriments jugés préoccupants en matière de santé publique et, espère-t-elle, à inciter l'industrie à reformuler ses recettes. Ce n'est pas gagné d'avance.

Environ 20 % des emballages alimentaires affichent déjà un symbole à l'avant, et près de la moitié présentent des allégations relatives à la teneur nutritive, montrent les chiffres compilés par des chercheurs de l'Université de Toronto. Vous le voyez à l'épicerie : le devant de l'emballage est un espace marketing très utilisé pour faire ressortir les qualités d'un produit. Les industriels ne vont pas céder du terrain si facilement.

Produits alimentaires et de consommation du Canada et l'Association canadienne des boissons ont déjà déposé un sondage montrant la préférence des consommateurs pour un pictogramme coloré indiquant à la fois les aspects positifs et négatifs d'un aliment.

Non seulement l'industrie a des attentes, mais le premier ministre lui a récemment rouvert une porte.

Sur la stratégie alimentaire, la lettre de mandat de la nouvelle ministre de la Santé est identique à celle de son prédécesseur, sauf qu'un passage y a été ajouté. « Ces initiatives doivent être fondées sur des preuves scientifiques solides et sur des consultations exhaustives auprès des Canadiens », précise Justin Trudeau - une directive que des intervenants se sont fait un plaisir de rappeler aux fonctionnaires.

Le Ministère, qui a sollicité et reçu de nouveaux symboles au cours des dernières semaines, « en choisira un nombre limité aux fins de consultations et de recherches en 2018 », nous dit-on à Ottawa.

Santé Canada, qui s'est souvent fait accuser de prêter une oreille trop complaisante aux lobbies, notamment dans la rédaction du Guide alimentaire, semble vouloir s'en distancier, mais il faudra voir si elle réussit à tenir le coup.

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