Quel sera l'impact de la légalisation de la marijuana sur les milieux de travail ? C'est l'un des enjeux les moins discutés jusqu'ici, mais l'un des plus importants dont Québec aura à s'occuper.

Altération de l'attention, de la concentration, des perceptions ou de la motricité : il est évident que plusieurs des effets associés à la consommation de cannabis sont incompatibles avec une prestation de travail normale. Ça vaut pour les employés de bureau comme pour ceux en contact avec la clientèle, mais ce sont ceux qui opèrent de la machinerie lourde ou travaillent dans des environnements à risque qui nous viennent à l'esprit en premier. Non sans raison, puisqu'une erreur de leur part ne met pas seulement en péril leur sécurité, mais aussi celle de leurs collègues - et même cellede la population, s'ils travaillent sur la route ou dans un espace public.

Le problème existe déjà, mais les entreprises redoutent que la légalisation, en augmentant le nombre d'utilisateurs et les occasions de consommer, ne le rende plus fréquent.

Il faut « éviter de créer un dédale juridique insupportable pour les employeurs québécois où ils ont toutes les responsabilités, juridiques, financières et opérationnelles, sans pourtant en avoir les moyens de contrôle », a plaidé la Fédération des chambres de commerce du Québec à la fin de la semaine dernière.

Face au cannabis, les employeurs ont le même problème que les policiers affectés aux contrôles routiers : il n'existe pas de tests aussi fiables ni d'indicateurs de facultés affaiblies aussi reconnus que pour l'alcool. Les traces de THC dans l'organisme peuvent persister beaucoup plus longtemps que ses effets, et ceux-ci varient grandement selon les individus et le mode de consommation.

Québec, qui est responsable d'encadrer le cannabis sur son territoire, ne peut pas laisser les employeurs seuls face aux conséquences possibles de la légalisation.

Le projet de loi-cadre promis pour cet automne devrait, au minimum, interdire la consommation en milieu de travail, et trouver le moyen de faire comprendre que contrairement au tabac, il ne suffit pas de se tenir à plus de 9 mètres d'une porte pour que ça devienne acceptable. La comparaison avec l'alcool a aussi ses limites. Un travailleur peut décider de prendre un verre au repas s'il sait que ça ne nuit pas à ses capacités, mais combien peuvent dire, sans risque de se tromper, quelle quantité de marijuana ils sont capables d'inhaler ou d'ingérer sans que leurs facultés en soient affectées ? Le Canada a beau s'être lancé dans une grande expérience en légalisant le cannabis, ça ne donne pas le droit à tout un chacun de se livrer à des essais et erreurs au détriment de son employeur, de ses collègues et du public.

Les impacts de la consommation en dehors des horaires de travail inquiètent aussi les entreprises. On peut les comprendre, mais certains changements recommandés par la Fédération des chambres de commerce (transférer des coûts à la Régie de l'assurance maladie, enlever des possibilités de recours contre les employeurs et en ajouter contre les travailleurs, etc.) sont prématurés. Si les entreprises se retrouvent aux prises avec une avalanche de poursuites, il faudra s'ajuster, mais on n'en est pas là, et rien ne dit qu'on y arrivera non plus.

Ce qui presse vraiment, c'est d'envoyer un message fort, non pas contre la banalisation, un terme mou aux contours beaucoup trop flous, mais contre la normalisation.

Il n'est pas normal ni acceptable qu'un salarié ou un professionnel se présente au boulot avec les facultés affaiblies par l'alcool, tout le monde s'entend là-dessus. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement pour la marijuana lorsque cette substance deviendra légale. Or, à moins d'un an de la date fatidique, ce message-là ne s'entend nulle part. Québec, les employeurs et les établissements d'enseignement vont devoir s'y mettre rapidement, et vigoureusement.

LOI SUR LA SANTÉ ET LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

« Le travailleur doit [...] prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ; veiller à ne pas mettre en danger la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail ou à proximité des lieux de travail. »

« L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur. »

Art. 49, 2°-3° ; art. 51

CODE DE SÉCURITÉ POUR LES TRAVAUX DE CONSTRUCTION

« L'employeur doit s'assurer que [...] tout travailleur n'effectue aucun travail lorsque ses facultés sont affaiblies par l'alcool, la drogue ou une autre substance similaire. »

Art. 2.4.2. e)

CODE DES PROFESSIONS

« Tout professionnel doit s'abstenir d'exercer sa profession ou de poser certains actes professionnels dans la mesure où son état de santé y fait obstacle. »

Art. 54

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