Dans ses efforts pour prévenir le harcèlement, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a imposé un cours en ligne sur le respect en milieu de travail. Résultat? Dans certains détachements, on a chargé un subalterne de passer l'examen pour toute l'équipe.

Ailleurs, on a affiché les réponses à la vue de tous.

Des employés ont avoué être passés directement à l'examen qui se trouvait à la fin du module. Plusieurs ont qualifié le cours de «perte de temps» «aride», «simpliste» et «sans intérêt».

Ce genre de formation est parfois pris à la légère dans les organisations, mais s'il y a un endroit où elle ne devrait pas l'être, c'est bien dans cette GRC minée par les problèmes de harcèlement, d'intimidation et d'abus de pouvoir. Malgré les constats et les analyses qui s'empilent depuis une décennie, la situation ne s'est pratiquement pas améliorée, dénonce la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC dans un nouveau rapport publié lundi.

Les témoignages recueillis auprès des employés parlent d'eux-mêmes.Choquant? Oui, mais pas si étonnant quand on voit à quel point la GRC est repliée sur elle-même. «Contrairement à d'autres organisations policières, la GRC nomme principalement des membres en uniforme, plutôt que des spécialistes civils, aux postes administratifs de niveau supérieur (ex.: ressources humaines et relations de travail)», souligne la Commission. De plus, les postes de gestionnaires et de superviseurs n'ont pas d'autres exigences de formation qu'un diplôme d'études secondaires, et les programmes de perfectionnement en gestion et en leadership sont optionnels. Les compétences pratiques pour gérer «l'incivilité, les conflits au travail et le harcèlement» font donc cruellement défaut.

Les enquêtes sur les plaintes pour harcèlement sont également fautives à plusieurs égards, une ironie grinçante pour un corps policier.

Il faut ouvrir les fenêtres et faire entrer de l'air frais. Il y a 10 ans déjà, le rapport Brown demandait que la GRC soit dirigée par des professionnels et dotée d'une surveillance civile indépendante. La recommandation vient d'être reprise par l'ex-vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser, dans son examen de quatre cas de harcèlement ayant entraîné des poursuites au civil. Et le président de la Commission a enfoncé le bouchon en consacrant ses trois premières recommandations à réclamer une gouvernance civile et une gestion digne ce nom.

Que manque-t-il pour que les choses changent enfin? Une volonté politique forte, sans laquelle rien ne bougera. Cette volonté, on ne la sent malheureusement pas encore chez le ministre fédéral de la Sécurité publique, qui marche visiblement sur des oeufs. C'est un changement massif qu'il faut examiner avec grand soin, a-t-il indiqué en point de presse.

Ralph Goodale se dit cependant ouvert à une gouvernance civile, et déterminé à ce que le milieu de travail devienne exempt de harcèlement. Sa décision de publier les rapports de Mme Fraser et de la Commission simultanément aura au moins contribué à mettre de la pression sur la GRC - d'autant que le bureau du vérificateur général en a remis une couche le lendemain en démontrant que l'organisation ne répond pas bien aux problèmes de santé mentale de ses membres.

Malgré toutes ses bonnes intentions, le grand patron de la GRC, Bob Paulson, n'est pas venu à bout de cette culture malsaine. Il prend sa retraite en juin. Le choix de son successeur, et le mandat qui lui sera donné, en dira beaucoup sur la volonté du ministre.

Oui, il faut du cran pour réformer la GRC. Mais si un vieux routier comme Ralph Goodale, qui a siégé à la fois sous les gouvernements de Pierre et de Justin Trudeau, a été réélu sans interruption depuis 1993 et abrite l'école de formation de la GRC dans sa circonscription, n'a pas le courage de s'en occuper, ça n'augure rien de bon pour les employés de l'organisation.

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