Le projet de loi fédéral C-14 sur l'aide médicale à mourir est peut-être constitutionnel, mais il n'est pas satisfaisant. En limitant l'accès aux personnes dont la « mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible », il exclut une partie des malades incurables en proie à des souffrances intolérables dont la Cour suprême a reconnu les droits. On doit faire mieux.

Selon plusieurs spécialistes du droit constitutionnel, dont trois des quatre experts interrogés par notre collègue Vincent Brousseau-Pouliot cette semaine, le projet de loi C-14 est une réponse juridiquement acceptable à l'arrêt Carter. C'est possible. Ce texte ne constitue cependant pas une réponse satisfaisante aux besoins de nombreux Canadiens qui croyaient avoir enfin été entendus.

Le plus haut tribunal du pays place la barre aux « souffrances persistantes intolérables » causées par des « problèmes de santé graves et irrémédiables ». Le projet de loi C-14 l'a mise bien plus haut en ajoutant l'exigence d'une mort naturelle « raisonnablement prévisible ». Cette notion floue laisse une grande place à l'arbitraire. Pis, elle crée deux classes de patients.

Des personnes atteintes de la même maladie neurodégénérative incurable et affligées de souffrances tout aussi intolérables verraient leur demande d'aide médicale à mourir accueillie différemment.

Elle serait acceptée si la médecine juge leur fin proche, et rejetée si elle leur donne encore plusieurs années à vivre.

Discriminatoire, cruel, indéfendable du point de vue logique et humain : les sénateurs n'y sont pas allés par quatre chemins en interrogeant la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould. Avec raison. Le projet de loi tel qu'il est formulé exclut des profils semblables à ceux qui ont pourtant convaincu le plus haut tribunal du pays.

Qu'il ait fallu autant de temps pour que la détresse de ces malades soit enfin prise en considération passe encore. Mais qu'on légifère maintenant pour les priver d'un droit qui vient tout juste de leur être reconnu ? C'est d'une insensibilité inouïe.

La ministre Wilson-Raybould s'est justifiée à plusieurs reprises en évoquant un équilibre avec d'autres valeurs, dont la protection des personnes vulnérables. Évidemment, on ne décriminalise pas l'aide médicale à mourir à la légère. Il faut des dispositifs solides pour que personne ne subisse de pressions. Mais une fois ces mesures en place, il faut distinguer les craintes associées à l'idée de l'aide à mourir et les souffrances réelles de ceux qui la réclament. On ne peut prétendre qu'elles pèsent le même poids dans la balance.

C'est entendu, le projet de loi du gouvernement Trudeau ne pourra pas être adopté avant la date butoir du 6 juin. Ce n'est pas là-dessus qu'on le jugera, mais sur le fond, c'est-à-dire à la façon dont il aménagera la voie ouverte par la Cour suprême. On ne lui demande pas de décriminaliser tous les cas de figure, loin de là. Le projet de loi renvoie à un futur examen indépendant des questions de demandes anticipées, de demandes de mineurs matures et de demandes motivées uniquement par la maladie mentale. Sage décision vu le peu de temps disponible.

Rappelons aussi qu'il s'agit de modifier le Code criminel, et non d'obliger les systèmes de santé, qui relèvent des provinces, à offrir un niveau de service précis. Le projet de loi fédéral étant déjà plus large que le cadre québécois, une remise en question s'imposera de toute façon ici.

Le projet est maintenant entre les mains du Sénat. Et à en juger par les quatre heures de questions posées aux ministres de la Justice et de la Santé mercredi, ses membres sont bien conscients de l'importance de leur rôle dans cette affaire. De son côté, la ministre Wilson-Raybould les a assurés de l'ouverture de son gouvernement à des amendements réfléchis. On demande à voir.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion