Le Québec et l'Ontario viennent de révéler les plus importantes rémunérations facturées par des médecins au système public en 2015. Dans les deux cas, des spécialistes trônent au sommet du palmarès. Le record est de 2,4 millions de dollars ici, de 6,6 millions chez nos voisins. Un embarras pour la profession ? La sagesse populaire voudrait le croire, mais dans les faits, la divulgation des hauts salaires mène souvent à une surenchère.

Le ministre de la Santé ontarien a lâché une bombe la semaine dernière en partageant la liste des 500 médecins ayant réclamé plus d'un million à la province. Les noms n'y figurent pas, mais la spécialité et la somme facturée par chacun ont leur effet. Le ministre espère ainsi gagner l'opinion publique à ses négociations salariales contre les médecins. C'est une stratégie risquée qui pourrait se retourner contre lui - en suscitant des demandes de la part des spécialités moins lucratives, par exemple.

Le phénomène est connu chez les grandes entreprises cotées en Bourse, qui sont obligées de divulguer la rémunération de leurs plus hauts dirigeants. L'étalage de ces millions a beau choquer le public, il semble surtout encourager la surenchère. Les chercheurs parlent de l'effet Lake Wobegon, du nom d'une ville fictive où « tous les enfants sont au-dessus de la moyenne ». Mais si chacun obtient d'être mieux payé que la moyenne, la moyenne s'élève, et l'exercice est à refaire.

Évidemment, la relation de cause à effet est quasi-impossible à prouver, d'autant que la rémunération de chaque PDG est complexe et influencée par de multiples facteurs.

Plusieurs observations donnent toutefois à penser que le jeu de la comparaison a alimenté la spirale des dernières décennies.

Au Canada, où cette divulgation a été imposée aux sociétés inscrites en Bourse au milieu des années 90, des chercheurs ont noté des hausses plus prononcées dans les années subséquentes. Une étude de plus de 1000 entreprises américaines sur six ans a également constaté que les PDG avaient tendance à recevoir de meilleures augmentations quand leur entreprise engageait une nouvelle firme de consultants en rémunération.

La diffusion des chiffres incite à la comparaison et, comme personne ne pense valoir moins que ses pairs, amène des demandes d'ajustement à la hausse. On l'a vu chez les médecins québécois qui, pendant des années, ont pressé le gouvernement de combler l'écart avec les autres provinces. Des augmentations considérables ont été accordées dans la dernière entente. Le problème, c'est qu'on n'a aucune idée de l'importance de ce rattrapage. Le syndicat des spécialistes jugeant l'écart presque deux fois plus élevé que du ministère, les parties avaient convenu de créer des comités pour vider la question. Ceux-ci n'ayant jamais vu le jour, on est toujours dans le noir. Il faudra s'en souvenir durant la prochaine négociation.

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