Que des élus montréalais répugnent à acheter de l'asphalte à des entreprises soupçonnées de corruption et collusion, c'est compréhensible, et même plutôt sain. Ils n'ont cependant pas besoin de faire un tel cirque pour l'exprimer.

Il y 10 jours, les conseillers municipaux ont eu à se prononcer sur un contrat visant à fournir aux cols bleus la matière première pour remplir les nids-de-poule. En termes techniques: des enrobés bitumineux. L'expression a beau évoquer la confiserie, la pilule ne passe pas.

Trois des sept entreprises qui ont remporté l'appel d'offres ont fait l'objet d'allégations de corruption, de collusion, ou les deux. Ensemble, elles ont raflé presque les deux tiers du contrat. Louisbourg en a plus de 40% (2,2 millions sur 5,2 millions de dollars).

C'est révoltant, mais légal. Ni la justice ni l'Autorité des marchés financiers (AMF) n'ont encore reproché quoi que ce soit à ces entreprises. Pour que les arrondissements puissent continuer à s'approvisionner en bitume de la même façon après le 15 avril, il faut que le conseil municipal approuve ce contrat.

Les élus auraient dû passer au vote, en se bouchant le nez si nécessaire, quitte à s'expliquer à la population ensuite. Bref, prendre position et vivre avec les conséquences. Ils ont préféré se défiler en renvoyant le dossier au comité exécutif... lequel n'a eu d'autre choix que le retourner au conseil, qui sera probablement convoqué bientôt en séance extraordinaire. On s'enlise.

Sous prétexte d'éthique, on a fait de la petite politique. Y compris le maire, qui prétend «sonder» la population sur le site internet de la Ville. Passons sur le libellé, visiblement conçu pour infléchir le vote en faveur du bouchage, de nez et de nids-de-poule. M. Applebaum ne s'en cache pas, il veut montrer aux élus que les Montréalais souhaitent voir la chaussée réparée. C'est probablement le cas. Mais ce ne sont pas les résultats, faciles à influencer, de cette pseudo-consultation qui le prouveront. Tout ce que le maire va réussir à démontrer s'il brandit ces chiffres, c'est qu'il prend vraiment les Montréalais pour des idiots.

Et lorsque le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, a proposé que les arrondissements achètent leur bitume séparément pour contourner les fournisseurs douteux, Vision Montréal et le bureau du maire n'ont rien trouvé de mieux que de crier au fractionnement de contrats. C'est la Ville qui a regroupé ces achats. L'approvisionnement local n'est pas le choix le plus économique, mais ça ne le rend pas illégal.

Cela dit, le risque qu'un fournisseur ne passe pas le test de l'AMF, comme l'a évoqué M. Bergeron, ne permet pas de l'éliminer d'emblée.

Les fournisseurs véreux finiront par être disqualifiés. En attendant, il faut s'attendre à ce que d'autres entreprises controversées remportent des appels d'offres. C'est choquant, et on comprendra les élus de s'en plaindre. Mais pas d'en faire un prétexte pour s'enfoncer davantage.

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