L'interrogatoire de Vincent Lacroix par la GRC, dont on a pu voir des extraits récemment, nous en apprend un peu plus sur l'individu et son frauduleux échafaudage. Malheureusement, beaucoup d'autres questions demeurent sans réponse.

La scène, extraite des 30 heures d'enregistrement que nous avons obtenues, est surréaliste. D'un ton détaché qu'on réserve habituellement aux considérations météorologiques, Lacroix commente un état de compte suisse à son nom. Ce compte, et les sommes affichées, n'ont jamais existé. Le document devait servir à étayer une divulgation volontaire au fisc. Pas pour se mettre en règle avec l'impôt: pour rassurer ceux qui, après la parution d'un article intitulé «Le mystère Norbourg», se demandaient où la firme prenait l'argent pour financer ses acquisitions!

Dans le bureau de la GRC, en ce début de décembre 2006, Lacroix est encore libre, mais c'est un homme fini. Norbourg a fait faillite, les tribunaux l'attendent. Pourtant une seule chose l'inquiète: le faux que lui montre l'enquêteur ne ressemble pas à celui qu'il connaît. Il le presse de questions, retourne le papier en tous sens, se gratte la tête.

Norbourg, on le sait aujourd'hui, faisait une production industrielle de faux documents comptables. La direction consacrait beaucoup plus d'énergie à cette activité qu'à élaborer des stratégies de placement. Avec les résultats que l'on sait.

Cela fera bientôt cinq ans, le 25 août prochain, qu'une descente de la GRC et de l'AMF a mis fin à cette gigantesque arnaque. Triste anniversaire pour les investisseurs floués, qui attendent encore justice. Oui, Lacroix a été condamné au pénal et au criminel. Oui, ses coaccusés auront un nouveau procès à l'automne. Sauf que la lumière n'a toujours pas été faite sur le rôle et la responsabilité des autres acteurs, dont la CVMQ, qui a précédé l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Le gouvernement Charest a refusé de tenir une enquête publique, car l'organisme est visé par un recours collectif. Il nous faudrait un autre mécanisme pour déterminer s'il a vraiment joué son rôle de protection des investisseurs.

Aux États-Unis, l'inspecteur général de la SEC a fait une analyse détaillée du travail de l'agence dans l'affaire Madoff. Son rapport, publié moins d'un an après la découverte de la fraude, est accablant. Heureusement pour la SEC, les tribunaux américains sont plutôt réticents à tenir les agences gouvernementales responsables de pertes encourues. Un groupe d'investisseurs a déjà perdu sa cause contre l'organisme. Mais, au moins, on sait ce qui s'est passé.

Les victimes de Norbourg, elles, devront attendre l'audition du recours collectif, en février prochain. Le procès, qui vise aussi le gardien de valeurs Northern Trust, le cabinet KPMG et d'autres parties, devrait durer jusqu'à l'été 2012... près de sept ans après qu'a éclaté le scandale Norbourg. La société aura été en affaires à peine plus longtemps.

akrol@lapresse.ca

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