On savait que les médecins de famille refusaient des malades. On découvre maintenant que les spécialistes peuvent faire la même chose, même lorsque le patient dépérit sur une civière dans leur hôpital. Le rapport rendu public hier par la coroner Catherine Rudel-Tessier est alarmant.

Cambodgien d'origine, Sitha Un est décédé à l'hôpital du Sacré-Coeur au printemps 2008, à l'âge de 63 ans. Sa fin de vie laisse pantois.

Au début d'avril, un chirurgien vasculaire de Sacré-Coeur indique que le pied nécrosé de M. Un devra être amputé. Considérant que son cas relève de la chirurgie orthopédique, et qu'il n'est pas urgent, le médecin fait une requête à ce service et renvoie le patient. Son état le ramène à l'urgence 11 jours plus tard. On convient que le chirurgien vasculaire fera l'amputation, mais que l'homme sera hospitalisé en cardiologie, où il a déjà subi quatre pontages. Sauf que la cardiologie refuse. Quant au chirurgien qui doit l'amputer, il lui donne son congé, car il n'a pas de place avant une semaine. À partir de là, la situation dérape complètement.

M. Un, qui a plusieurs autres problèmes de santé, reçoit des soins à domicile quotidiens. Or, au lieu d'informer le CLSC de son retour à la maison, Sacré-Coeur avise son infirmière qu'il doit rester à l'hôpital! Deux semaines passent. Plus de soins à domicile, pas de nouvelles de l'opération. Faut-il s'étonner que M. Un doive retourner à l'urgence?

Le chirurgien vasculaire qui doit l'amputer demande qu'il soit hospitalisé au nom d'un chirurgien cardiaque... qui refuse. M. Un est finalement hospitalisé en chirurgie vasculaire. Mais son état se détériore rapidement. Le chirurgien de garde est justement celui qui doit l'opérer. Sauf qu'il n'est pas joignable! On appelle son chef du département... qui ne veut rien entendre: il exige qu'on appelle le médecin de garde en chirurgie cardiaque. Celui-ci, mécontent, rétorque que le malade ne relève pas de son service. Le patient meurt dans l'heure qui suit.

«S'il y a une certitude qu'on peut énoncer à la suite de l'enquête, c'est que les derniers mois de vie de M. Un ont été marqués par des difficultés de communication», écrit la coroner. Bel euphémisme! Nous n'en avons retenu que les principaux épisodes, mais il y en a eu d'autres, et pas piqués des vers.

Sacré-Coeur dit avoir fait le nécessaire pour éviter que pareille situation ne se reproduise. On veut bien, mais l'histoire fait peur. Car ce n'est pas la première fois qu'on entend parler d'une telle dynamique. Les urgentologues dénoncent régulièrement l'attitude des autres services, qui refusent leurs patients pour ne pas être débordés.

Est-il acceptable que des spécialistes se renvoient ainsi un patient comme une balle de ping-pong, alors que celui-ci dépérit à vue d'oeil? On aimerait beaucoup entendre le Collège des médecins là-dessus.

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