Quand le procès des coaccusés de Vincent Lacroix a démarré, une grande partie de l'opinion publique était convaincue de leur culpabilité. Le jury, par contre, était beaucoup plus divisé. Tellement que l'affaire vient d'avorter. Aujourd'hui, ce sont les coupables de ce dérapage qu'il faut identifier.

Les jurés ne sont absolument pas en cause. La tâche confiée à ces gens de bonne volonté était colossale. Cinq accusés, une preuve complexe et très technique où il était question de comptabilité aussi bien que d'informatique, des centaines de chefs d'accusation. Toutefois, leur incapacité à convenir d'un verdict interpelle notre système de justice. Un jury, est-ce vraiment souhaitable pour un mégaprocès? Certaines causes, comme celle-ci, ne devraient-elles pas être automatiquement confiées à un juge seul?

 

Le débat n'est pas nouveau, et nous ne le résoudrons pas ici. Un autre écueil, par contre, aurait pu être facilement évité: la multiplication des chefs d'accusation. Quelles sont les probabilités que 12 simples citoyens tombent parfaitement d'accord sur 700 questions d'affilée? Les avocats de la Couronne ont fait ce pari délirant, et l'ont perdu. S'ils veulent augmenter leurs chances au prochain procès, ils ont intérêt à miser plus intelligemment.

La Couronne n'est toutefois pas la seule à blâmer, note Anne-Marie Boisvert, professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal. «Il va falloir réfléchir collectivement à nos demandes envers la justice», dit-elle.

L'affaire Norbourg est une fraude d'envergure, autant par l'importance des sommes dilapidées que par le nombre élevé de victimes. La pression populaire était forte. Mais était-il nécessaire, pour reconnaître la gravité des torts causés, de porter autant d'accusations? Le cul-de-sac dans lequel a abouti le jury nous prouve que non, hors de tout doute.

Un procès criminel a plusieurs fonctions. Pour ce qui est de rendre justice aux victimes, c'est raté. On n'a reconnu ni puni aucun nouveau responsable. Pourtant, malgré le sentiment d'échec du jury, malgré la déception exprimée par le juge, ces quatre mois de procédures n'auront pas été inutiles. L'appareil judiciaire a aussi un rôle dissuasif, et dans cette histoire, il le joue très bien.

Les cinq ex-collaborateurs de Norbourg ne seront peut-être jamais reconnus complices de cette fraude. Mais avec tout ce qu'on sait sur la gestion interne de Norbourg, on voit mal comment un professionnel aurait pu travailler dans cette boîte sans être témoin de pratiques douteuses. Il peut être tentant, dans une telle situation, de fermer les yeux. Ce procès nous rappelle que c'est une décision lourde de conséquences.

La vie des cinq coaccusés est en suspens depuis leur arrestation, en 2008. Quelle que soit l'issue du prochain procès, ils ne rattraperont jamais le temps perdu. Avis à ceux qui se trouveraient dans une situation semblable: si vous refusez de tirer la sonnette d'alarme, ne vous étonnez pas de prendre le clos quand le train déraillera.

 

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