Combattre le virus n'est pas tout. Il faut aussi pouvoir le nommer. Et pour l'instant, le débat fait rage. Ce qui, en un sens, est presque rassurant. Si nous pouvons nous adonner à ce genre de discussion, c'est bien parce que les dégâts demeurent limités.

Les autorités sanitaires n'ont pas encore réussi à enrayer la grippe porcine, mais ils font tout pour éliminer l'expression de votre vocabulaire. L'Organisation mondiale de la santé, l'Agence de la santé publique du Canada et le Center for Disease Control américain l'ont officiellement mise au rancart jeudi. L'OMS parle désormais de «l'influenza A(H1N1)», le Canada de «virus influenza H1N1» et les États-Unis de «grippe H1N1». Une bonne nouvelle pour les éleveurs de porcs, qui craignaient les répercussions négatives sur leurs ventes. Pour le côté pratique, par contre, on repassera. Il n'y a qu'à entendre les lecteurs de nouvelles trébucher sur ce drôle de nom de code.

 

Plusieurs scientifiques protestent d'ailleurs contre cette rectitude pandémique. Car techniquement, le nouveau virus a tout, ou presque, d'une grippe porcine. Six de ses huit segments génétiques sont apparentés à des virus de ce type. D'accord, on n'a pas encore trouvé le «cochon zéro», ni aucun porc infecté. Mais on n'a pas fait de recherches extensives non plus. Sans compter que H1N1 désigne déjà une variété de grippe saisonnière. En plus d'être abstrait, le terme risque de devenir source de confusion. Heureusement, les gouvernements canadien et américain ont finalement préféré l'information à l'idéologie, et laissé plusieurs mentions de la grippe porcine sur leurs sites.

Le premier ministre Harper a parlé de grippe mexicaine jeudi, mais il serait étonnant qu'il en prenne l'habitude. Notre partenaire de l'ALENA ne manque pas une occasion de dénoncer cette expression. Il faut le comprendre. Le Mexique est, de loin, le pays le plus affecté, et pas seulement au décompte des cas et des décès. L'épidémie a des conséquences économiques désastreuses pour l'ensemble de son industrie touristique, ainsi que pour les habitants de Mexico. Et le Canada est bien mal placé pour l'accuser d'être trop susceptible. On n'a qu'à se rappeler l'émoi qu'avait créé l'OMS en inscrivant Toronto sur sa liste de villes à éviter durant la crise SRAS. La ministre de la Santé et le délégué canadien à l'OMC avaient fait des pieds et des mains pour convaincre l'organisme de revenir sur sa décision.

Des participants à notre blogue ont suggéré de parler de «grippe médiatique». Plusieurs critiquent aussi la couverture des événements, la jugeant sensationnaliste. Si l'on considère le nombre de cas confirmés au Canada, et le fait qu'il y a trois jours encore, on n'en dénombrait aucun au Québec, l'espace consacré au virus peut sembler disproportionné. Mais compte tenu du niveau d'alerte décrété par l'OMS et de la proximité du Mexique et des États-Unis, les deux régions où l'on dénombre le plus de cas, on voit mal comment il aurait pu en être autrement.

S'il devait s'avérer, au terme de cette épidémie, que la seule chose que nous ayons collectivement à nous reprocher, c'est d'avoir trop réagi et pris des précautions excessives, nous nous en serons tirés à bon compte.

 

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