Qu'elles nous conviennent ou non, les décisions de la Cour suprême ont au moins l'avantage de tirer les choses au clair. C'est ce que vient de faire le plus haut tribunal du pays dans la cause opposant des citoyens de Beauport à Ciment du Saint-Laurent (CSL). Ce jugement crée cependant une zone d'incertitude pour les entreprises. Les tribunaux devront se montrer circonspects dans l'usage qu'ils en feront.

Pour les citoyens de Beauport qui se plaignaient de la poussière, des odeurs et du bruit de la cimenterie, c'est une victoire totale. La Cour suprême leur redonne les indemnités plus élevées qui leur avaient été accordées en première instance. Et surtout, elle confirme l'élément central de ce premier jugement. Même si une société n'est pas fautive par rapport aux normes environnementales, elle peut tout de même être reconnue coupable de nuisance.

 

Avant sa fermeture, en 1997, la cimenterie crachait tellement de poussière que les résidants des environs devaient constamment nettoyer leurs voitures, leurs fenêtres et leurs meubles de jardin. Certains ne pouvaient même pas profiter de leur terrain. Autrement dit, ce voisin les privait de la jouissance de leur propriété. Le voisinage entraîne des inconvénients normaux qu'il faut tolérer, nous dit le Code civil. Toutefois, si un voisin vous inflige des inconvénients anormaux ou excessifs, il doit vous indemniser, précise la Cour suprême.

Ce jugement est une bonne nouvelle pour les citoyens dont la qualité de vie est bousillée par une activité industrielle. Par contre, il inquiète beaucoup le secteur privé. Plusieurs sociétés ont l'impression qu'une épée de Damoclès vient d'apparaître au-dessus de leur tête: même si elles sont en règle avec l'environnement, elles peuvent être accusées, et reconnues coupables, de l'inconfort de leurs voisins. Quand on sait ce qu'il en coûte pour se défendre contre un recours collectif, et l'incertitude que ce genre de poursuite fait peser sur un bilan, on les comprend. Il faut souhaiter que ce jugement n'entraîne pas d'effets pervers.

On sait maintenant qu'un recours collectif peut se gagner sur le seul principe du bon voisinage. Espérons néanmoins que les tribunaux ne seront pas inondés de demandes d'autorisation sur cette seule base. Rappelons que les résidants de Beauport avaient présenté un dossier beaucoup plus étoffé contre CSL et y avaient ajouté plusieurs allégations de fautes environnementales.

Souhaitons aussi que les juges tiennent compte de la nature du voisin poursuivi. CSL avait largement dépassé les bornes, c'est indéniable. Mais il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse et condamner toute activité commerciale qui génère un peu plus de bruit, de circulation ou d'odeurs qu'un simple particulier.

Certains craignent que ce jugement ne repousse les investisseurs et provoque des délocalisations. Ce serait une réaction exagérée de la part du secteur privé. Les entreprises feraient mieux de trouver le moyen de vivre en harmonie avec leur voisinage. La majorité de celles qui sont établies ici le font déjà, après tout.

akrol@lapresse.ca

 

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