Un grand Québécois vient de s'éteindre. Tout en étant en profond désaccord avec les idées de Jacques Parizeau sur l'avenir politique de la province, nous ne pouvions qu'admirer sa passion et son ambition pour le Québec, sa prodigieuse intelligence et la force de ses convictions. M. Parizeau a apporté une contribution exceptionnelle au développement du Québec.

Cette contribution a notamment pris forme dans la nationalisation de l'électricité et dans la mise sur pied de la Caisse de dépôt, deux événements marquants de la Révolution tranquille dans lesquels l'économiste a joué un rôle déterminant. Parce qu'il était si sûr de lui, Jacques Parizeau ne se laissait pas impressionner par les financiers anglophones qui contrôlaient alors l'économie de la province. Il a su jouer sur leur terrain et ainsi permettre aux francophones de prendre la place qui leur revenait.

Maîtrisant comme pas un les dossiers complexes, il demeura toute sa vie un extraordinaire professeur. Ses discours du budget, alors qu'il était ministre des Finances dans le gouvernement de René Lévesque, sont passés à l'histoire. C'est sous sa gouverne qu'a été lancé le Régime d'épargne-actions ; ce programme a ouvert à beaucoup de Québécois le monde de l'investissement boursier. Dans ce dossier, a dit le comptable Serge Saucier, il a été « le plus grand visionnaire que le Québec ait eu ».

Jacques Parizeau était en effet un visionnaire, ce qui l'a amené à avoir parfois une foi excessive dans la capacité de l'État de gérer l'économie. D'où certaines erreurs, dont la nationalisation de l'industrie de l'amiante. Mais tous les hommes d'action commettent des erreurs.

Jacques Parizeau ne fut jamais politicien. « La politique doit servir à accomplir quelque chose, à réaliser un projet », a-t-il confié à son biographe, Pierre Duchesne.

Son projet, c'était bien sûr l'indépendance. C'est la cause qui lui a fait entreprendre une carrière politique en 1969. C'est parce que René Lévesque semblait ne plus y croire que le ministre des Finances a démissionné de son gouvernement en 1984 : « Nos voies se séparent. Je le regrette, mais je dois en accepter les conséquences. »

C'est l'indépendance, encore, qui a amené M. Parizeau à prendre la direction du Parti québécois en 1988, alors que la formation traversait une période difficile. C'est dans une ultime tentative pour atteindre l'objectif qu'il a mis de côté tout orgueil pour faire place à Lucien Bouchard lors de la campagne référendaire de 1995. Ayant échoué, la vie publique n'avait plus d'intérêt à ses yeux ; il a donc démissionné le lendemain du référendum de 1995. Les paroles malheureuses de la veille resteront gravées dans la pierre de l'Histoire.

Il est à l'honneur de M. Parizeau d'avoir toujours souhaité suivre la trajectoire la plus droite possible, loin des contorsions envisagées par certains tacticiens souverainistes. Il était contre l'« étapisme » de Claude Morin en 1973, contre la question alambiquée de 1980. Il aurait voulu une question plus claire que celle qui fut finalement posée en 1995. Il s'est quand même plié aux exigences de la politique. « Dans le meilleur des mondes, on peut, pour se faire réélire, poser des gestes irrationnels, faire des déclarations démagogiques, pratiquer un clientélisme de bas étage », a-t-il écrit. Cette tentation est encore plus grande lorsqu'il s'agit de réaliser son rêve. Les Québécois ont souvent eu l'impression que M. Parizeau voulait les mener à l'indépendance sans qu'ils s'en rendent compte (on se souvient de l'incident du « casier à homards »).

Retiré de la politique, Jacques Parizeau a continué à promouvoir la souveraineté. Il l'a fait entre autres en multipliant les rencontres avec les jeunes. Son dernier livre avait pour titre, inévitablement :  La souveraineté du Québec - Hier, aujourd'hui et demain. Sa constance fut remarquable.

Le Québec n'est pas devenu ce que M. Parizeau souhaitait qu'il devienne. Toutefois, en bonne partie grâce au travail de M. Parizeau, le Québec est aujourd'hui beaucoup plus que ce qu'il était.