La Cour suprême a autorisé la destruction des données du registre des armes d'épaule, malgré l'opposition du gouvernement du Québec. Nous laisserons aux juristes l'analyse fine de ce jugement complexe. À nos yeux, cette question a toujours été avant tout politique.

Il y a longtemps que le gouvernement Harper aurait dû remettre ces données à la province, afin d'aider celle-ci à mettre en place son propre registre des armes d'épaule (carabines et fusils de chasse). Malheureusement, on le sait, ce gouvernement est aussi têtu qu'obtus.

Peu après la publication du jugement, le gouvernement du Québec a confirmé son intention de créer un registre provincial. Et tout le monde d'applaudir cet engagement; le «consensus québécois» en cette matière est en effet si fort qu'il pousse tous les politiciens dans la même direction. Malheureusement, cette quasi-unanimité est en bonne partie fondée sur l'émotion (légitime, bien entendu) et l'ignorance. Ce sont rarement les fondements d'une politique raisonnable.

La logique sous-tendant l'enregistrement de toutes les armes à feu, y compris les armes de chasse, paraît implacable: si un tel système peut sauver ne serait-ce qu'une vie, le jeu en vaut la chandelle. Toutefois, cette logique est absurde. En ce domaine comme en tout autre, une mesure doit être jugée selon son efficacité et son coût.

Les dossiers qui seront détruits par Ottawa ne portent que sur les armes d'épaule. Les armes de poing, les armes automatiques et les armes semi-automatiques restent pour la plupart interdites ou à autorisation restreinte; elles doivent être enregistrées. Par conséquent, le Registre canadien des armes à feu existe toujours.

Il faut garder à l'esprit l'ampleur du problème qu'on veut régler. Chaque année, au Québec, une trentaine de personnes sont tuées à l'aide d'une arme à feu. Presque autant succombent à des coups de couteau. Il faut noter que les meurtres commis à l'aide d'armes à feu et ceux commis au couteau ont suivi exactement la même tendance à la baisse au cours des 30 dernières années, bien que le second type d'arme soit peu réglementé.

Les deux tiers des armes à feu utilisées pour commettre un meurtre sont des armes de poing, donc illégales. Il reste une dizaine de meurtres commis, chaque année, au Québec, à l'aide d'une arme longue.

Devant le refus du gouvernement fédéral de lui remettre les données sur les armes d'épaule, Québec doit se demander: un registre provincial permettrait-il de réduire le nombre de meurtres? Combien coûteraient la mise en place et la gestion d'un tel registre? La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a parlé d'une somme de 30 millions, mais compte tenu des dérapages du gouvernement dans le domaine informatique, il est bien possible que la facture soit plus élevée. Si c'est 50 millions, Québec ira-t-il néanmoins de l'avant? Si c'est 100 millions? Qui paiera? L'enregistrement de 1,6 million d'armes de chasse et de carabines constitue-t-il le meilleur investissement à faire pour renforcer la sécurité publique? Autant de questions que Québec ne se posera pas, «consensus québécois» oblige.