Plus on analyse le projet de loi C-51 visant à intensifier la lutte au terrorisme, plus on découvre des aspects préoccupants. C'est particulièrement le cas des pouvoirs supplémentaires accordés au Service canadien du renseignement de sécurité.

En vertu des changements proposés, le mandat du SCRS ne sera plus limité à la cueillette et à l'analyse de renseignements. Ses agents pourront désormais prendre «des mesures» pour réduire ce qu'ils croient être une menace contre le Canada.

L'idée est sensée: si, dans le cours d'une enquête, les espions découvrent qu'un attentat est en préparation, ils devraient pouvoir agir pour le contrer au lieu de seulement transmettre l'information à la police, comme l'exige la loi actuelle. Le hic, c'est que le SCRS pourra recourir à ces nouveaux pouvoirs pour prévenir non seulement une action terroriste, mais toute «menace envers la sécurité du Canada». Or, dans la Loi sur le SCRS, cette expression ratisse large. Elle comprend, par exemple, «les activités tendant à favoriser l'espionnage et le sabotage» et «les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada».

Les «mesures» à la portée du SCRS pour réduire ces menaces ne sont pas définies. Le projet de loi se contente d'interdire qu'on cause la mort d'un individu, qu'on lui inflige des «lésions corporelles» ou qu'on porte atteinte à «son intégrité sexuelle». Le texte ne proscrit pas la détention. Il ne prohibe pas non plus le recours à des techniques d'interrogatoire qui, si elles ne laissent pas de séquelles physiques, n'en sont pas moins cruelles.

Le projet de loi autorise les espions canadiens à violer les droits et libertés protégés par la Constitution, de même que les lois du Canada et celles d'autres pays, à condition d'obtenir l'autorisation d'un juge de la Cour fédérale. De prime abord, cet examen par les tribunaux nous avait rassurés. Depuis, les analyses publiées par les juristes Craig Forcese et Kent Roach ont démontré les graves déficiences d'un tel système.

Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, les juges seront appelés à cautionner la violation d'une multitude de lois et de droits fondamentaux. Il s'agit là, disent Forcese et Roach, d'une «rupture étonnante» par rapport au rôle traditionnel de la magistrature.

Ensuite, les requêtes du SCRS seront entendues à huis clos. Les décisions des juges ne seront jamais publiées. Il n'y aura pas d'appel possible. Personne ne saura exactement ce que les agents secrets ont fait après avoir obtenu la bénédiction du tribunal.

Les conservateurs balaient ces inquiétudes en accusant ceux qui les expriment de mollesse face aux terroristes. Pour sa part, le chef du NPD, Thomas Mulcair, caricature les risques en affirmant que le gouvernement Harper pourrait se servir du nouveau texte de loi pour «espionner ses ennemis politiques». Ces excès partisans ne doivent pas empêcher le gouvernement d'être à l'écoute des personnes qui, tout en étant favorables à un renforcement des lois contre le terrorisme, réclament des modifications au projet de loi C-51 afin de minimiser les risques d'abus.