À nouveau pressé d'agir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'industrie pétrolière, le premier ministre, Stephen Harper, a donné cette semaine deux raisons pour justifier son inertie.

« Compte tenu des circonstances actuelles du secteur pétrolier et gazier, il serait fou, économiquement parlant, de lui imposer des pénalités unilatérales », a déclaré le chef du gouvernement à la Chambre des communes. En effet, la chute brutale des prix du pétrole crée une conjoncture peu propice à la mise en place de mesures augmentant les coûts de production.

Cependant, en prenant prétexte de la baisse des prix pour garder les bras croisés, M. Harper a involontairement confirmé ce que beaucoup d'observateurs pensaient : il aurait dû agir pendant les années où l'or noir se vendait cher. Mesquin et entêté, comme toujours, il a laissé passer cette occasion qui ne reviendra peut-être pas de sitôt.

Le premier ministre a aussi expliqué qu'en matière d'émissions de gaz à effet de serre, Ottawa imposera des règles à l'industrie pétrolière seulement quand les États-Unis le feront. « Dans une économie continentale, il faut adopter une approche intégrée », a souligné M. Harper.

Sur cet aspect de la question, le chef conservateur a raison. De part et d'autre de la frontière, les personnes qui se préoccupent de l'environnement sont obnubilées par les sables bitumineux. Elles en ont oublié que l'industrie pétrolière américaine échappe au Plan d'action climatique lancé l'an dernier par Barack Obama. Or, grâce à de récentes avancées technologiques, les Américains ont augmenté de 35 % leur production de carburants fossiles depuis 2010 (contre 13 % pour le Canada).

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On dira que le pétrole américain est moins « sale » que celui des sables bitumineux. C'est loin d'être certain. Les données compilées par l'Environmental Protection Agency sous-estiment grandement, selon plusieurs experts, les émissions produites par l'extraction du pétrole de schiste. De nombreux producteurs laissent fuir de leurs puits le gaz associé au pétrole, faute d'infrastructure pour le récupérer et le transporter. Des dizaines de milliers de tonnes de méthane sont ainsi relâchées dans l'atmosphère, sans que les statistiques officielles en fassent état.

Bien des Canadiens sont séduits par le discours écologiste du président Obama. Toutefois, il y a une part d'hypocrisie dans ses vibrants plaidoyers. Le président fait la moue en parlant des sables bitumineux ? Les États-Unis n'en ont pas moins triplé leurs importations de pétrole canadien depuis 10 ans.

La seule façon économiquement et écologiquement sensée pour Ottawa et Washington de contraindre l'industrie pétrolière à réduire ses émissions, c'est de travailler de concert. Malheureusement, M. Harper en parle, mais n'agit pas. Attend-il l'arrivée à la Maison-Blanche d'un président républicain, aussi peu enclin que lui à serrer la bride aux producteurs de pétrole ? Ce serait une bien mauvaise nouvelle pour le climat.