L'opposition au projet d'oléoduc Énergie Est prend forme. Si certains des arguments invoqués relèvent du populisme ou de l'alarmisme, l'inquiétude relative à l'impact du projet sur les bélugas de l'estuaire du Saint-Laurent mérite qu'on s'y arrête.

Rappelons que le projet en question, promu par TransCanada, transporterait le pétrole de l'Ouest canadien jusqu'à la raffinerie de Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, en passant par le Québec (722 kilomètres). Le nouvel oléoduc aurait une capacité considérable de 1,1 million de barils par jour.

Au rang du populisme, classons le commentaire répété par le député péquiste Bernard Drainville, selon qui le Québec ne doit pas devenir «une simple autoroute pour sortir le pétrole des sables bitumineux». M. Drainville oublie de dire que grâce au nouveau pipeline, les deux raffineries du Québec, à Montréal et à Lévis, pourront s'approvisionner de pétrole brut canadien, moins cher que le pétrole importé. De plus, le Québec a tout avantage à ce que l'Alberta trouve de nouveaux débouchés pour son pétrole; quand l'Alberta s'enrichit, tout le pays en profite.

Certains s'inquiètent parce que l'oléoduc traversera les battures de Saint-Augustin-de-Desmaures, à l'ouest de Québec. Cette réserve naturelle abrite plusieurs plantes uniques au monde. Le président de la Fondation québécoise de la protection du patrimoine naturel, Jacques Anctil, a déclaré au Devoir: «Il n'y a qu'une seule garantie, c'est que le pipeline va fuir. Il s'agit seulement de se demander quand, où et quelle sera la quantité.» En réalité, les fuites importantes de pétrole transporté par oléoduc sont rares, et des mesures peuvent être prises pour les rendre encore moins probables.

Les inquiétudes exprimées pour les bélugas fréquentant l'estuaire du Saint-Laurent nous semblent mieux fondées. TransCanada veut construire un port pétrolier à Cacouna, à 10 kilomètres de Rivière-du-Loup. Des navires-citernes y seraient chargés de pétrole destiné aux raffineries américaines.

Ce secteur de l'estuaire est considéré comme la pouponnière des baleines blanches du Saint-Laurent; c'est là que les femelles mettent bas et allaitent leur nouveau-né. Déjà, les chercheurs craignent que la population de béluga (moins de 1000 individus) ne soit en déclin. La construction, puis les activités du port pourraient perturber davantage l'espèce, très sensible au bruit.

Il est vrai que la circulation maritime est déjà importante dans ce secteur, notamment celle de bateaux utilisés pour l'observation touristique des mammifères marins. L'ajout des pétroliers accostant à Cacouna ferait-il une différence significative?

Le fardeau de la preuve appartient à TransCanada. En s'appuyant sur des travaux scientifiques crédibles, elle doit démontrer que ses activités ne nuiront pas aux bélugas et que tout sera fait pour protéger les précieux mammifères. Surtout, l'entreprise devra expliquer pourquoi elle tient tant à bâtir son port à Cacouna. Car de prime abord, du point de vue de la protection des bélugas, c'est le pire endroit qui soit.