Le gouvernement Harper est à nouveau plongé dans l'eau chaude à la suite de la nomination d'un juge. La controverse est peut-être sans fondement, mais le gouvernement n'a que lui-même à blâmer pour la méfiance que suscitent ses décisions.

Vendredi dernier, le ministre de la Justice, Peter MacKay, a annoncé la nomination de M. Robert Mainville à la Cour d'appel du Québec. M. Mainville était jusque là juge à la Cour d'appel fédérale. Ce transfert inusité d'un tribunal fédéral et à une cour provinciale en a étonné plus d'un. Comme par hasard, le nom du juge Mainville figurait sur la liste des six candidats envisagés par les conservateurs pour le siège à la Cour suprême qui fut finalement offert à son collègue, Marc Nadon.

Cette dernière nomination a été annulée par la Cour suprême, celle-ci estimant qu'un membre d'une cour fédérale ne peut pas représenter le Québec sur son banc. Ottawa s'est plié à ce jugement et a nommé le juge Clément Gascon. Cependant, un nouveau poste deviendra vacant l'automne prochain à la suite de la retraite du juge Louis LeBel. Certains soupçonnent le premier ministre d'envoyer le juge Mainville à la Cour d'appel du Québec pour la forme, uniquement pour le rendre éligible à une nomination au plus haut tribunal du pays. Parmi les suspicieux, Rocco Galati, l'avocat qui a contesté la promotion du juge Nadon.

M. Galati a demandé à la Cour fédérale d'annuler le transfert du juge Mainville. À ses yeux, le gouvernement fait fi de l'article 98 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, dont le libellé est fort simple: «Les juges des cours de Québec seront choisis parmi les membres du barreau de cette province.»

Si le gouvernement Harper n'avait pas maintes fois fait la preuve de son cynisme, le scénario imaginé par l'avocat torontois ne serait pas pris au sérieux. Mais ce premier ministre, on le sait, est capable des pires intrigues.

Hier, le premier ministre a confirmé une information circulant depuis quelques jours dans le milieu juridique: le transfert du juge Robert Mainville à la Cour d'appel du Québec fait suite à une demande du magistrat lui-même, qui voulait revenir à Montréal pour des raisons personnelles. M. Harper a toutefois refusé de s'engager à ne pas nommer le juge Mainville à la Cour suprême dans les prochains mois. La méfiance demeure.

La compétence de Robert Mainville est reconnue. Néanmoins, dans les circonstances actuelles, Ottawa ferait une erreur en le nommant à la Cour suprême. D'abord, la manoeuvre entacherait la crédibilité du tribunal et celle du juge. Ensuite, c'est une femme qui devrait remplacer le juge LeBel. La Cour suprême compte aujourd'hui trois femmes sur neuf, une part trop faible. Et il se trouve au Québec d'excellentes juristes capables d'assumer cette fonction avec brio.