L'attaque sournoise et sans précédent lancée contre la juge en chef de la Cour suprême est indigne d'un premier ministre. En agissant comme il l'a fait la semaine dernière, Stephen Harper a manqué à l'un de ses devoirs principaux, la défense des institutions fondamentales du Canada.

Depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs, ceux-ci s'en sont pris à toutes les institutions qui protègent la démocratie et l'état de droit au Canada. Le Gouverneur général, le Parlement, le Directeur général des élections, Statistique Canada, tous ont eu droit aux coups bas partisans de M. Harper et de ses sbires. On savait que le premier ministre ne reculerait devant rien pour punir ceux qui s'opposaient à ses visées. On n'osait pas imaginer qu'il irait jusqu'à planter un poignard dans le dos de la juge en chef.

Cet incident n'est pas de ceux qui émeuvent l'opinion publique. Le comportement du premier ministre est pourtant d'une gravité extrême. La Cour suprême est l'arbitre ultime des droits fondamentaux des Canadiens. Elle est également l'interprète définitive du partage des pouvoirs entre Ottawa et les provinces, un rôle évidemment crucial dans une fédération. Parce qu'ils savent la grande compétence des juges qui la composent et ont confiance en sa totale indépendance, les gouvernements du pays se sont toujours pliés, de bonne grâce, aux jugements du tribunal.

La méfiance du chef conservateur à l'égard de la Cour suprême ne date pas d'hier; il en avait fait état lors de la campagne électorale de 2006. Voici que le tribunal vient de bloquer des projets chers au gouvernement. On comprend le premier ministre d'être déçu, voire furieux. Cependant, un chef de gouvernement responsable n'exprimerait pas cette colère publiquement. Encore moins chercherait-il à se venger.

En s'interrogeant ouvertement sur le bien-fondé de l'avis de la Cour relatif à sa réforme du Sénat, M. Harper a avalisé les préjugés de la droite réformiste au sujet de l'«activisme judiciaire». Puis, en laissant entendre que Beverley McLachlin avait mené campagne contre la nomination du juge Marc Nadon à la Cour, il l'a accusée d'une faute qui, si elle avait vraiment été commise, aurait pu mener à la destitution de la juge en chef. Nous y voyons une tentative d'intimidation.

Des représentants du milieu juridique ont demandé à M. Harper de clarifier ses propos. Le bureau du premier ministre a rejeté cette requête du revers de la main. Au parlement hier, le ministre de la Justice, Peter MacKay, au lieu de calmer la tempête, a répété les insinuations malveillantes de son patron. Cela doit cesser. Les juristes de tout le pays, notamment les anciens juges de la Cour suprême, les constitutionnalistes les plus éminents, les bâtonniers et les doyens des facultés de droit doivent se mobiliser afin de forcer le premier ministre à retirer ses accusations contre la juge en chef.