L'administration Obama ne se laissera pas bousculer par le gouvernement Harper dans le dossier de l'oléoduc Keystone XL, a fait savoir vendredi le secrétaire d'État John Kerry à la sortie d'une rencontre avec son vis-à-vis canadien, John Baird.

«J'espère que bientôt, l'analyse de mon ministère sera complétée. Et alors mon travail commencera», a dit M. Kerry en réponse aux propos tenus plus tôt par le ministre canadien. En tournée à Washington, M. Baird avait déclaré que «le temps d'une décision sur Keystone XL est venu.»

L'impatience d'Ottawa est compréhensible: le projet d'oléoduc entre l'Alberta et le coeur des États-Unis est à l'étude depuis plus de cinq ans. La construction du segment sud du pipeline, qui n'a pas besoin du feu vert des autorités fédérales américaines parce qu'il ne traverse pas la frontière, est terminée et transportera ses premiers barils de pétrole cette semaine.

Il y a presque un an, le département d'État a publié son analyse préliminaire de l'autre partie du projet et conclu qu'elle n'entraînerait pas d'augmentation significative des émissions de gaz à effet de serre. Depuis, le département a colligé les 1,2 million de commentaires reçus et approfondi son étude des questions les plus controversées. La publication du rapport final est attendue incessamment, mais ça ne sera pas la fin du processus. Une nouvelle phase de consultations doit suivre.

«Ils ne font que repousser la question», a déploré Stephen Harper dans une entrevue à Bloomberg. Sauf que le premier ministre devrait reconnaître que son propre gouvernement a contribué au problème. Si sa politique sur les changements climatiques avait été plus ambitieuse, en particulier s'il avait cherché un meilleur équilibre entre l'exploitation des sables bitumineux et la protection de l'environnement, les écologistes auraient eu plus de mal à dépeindre l'industrie pétrolière canadienne sous un si mauvais jour. Quand la star du rock Neil Young affirme aujourd'hui que «Fort McMurray ressemble à Hiroshima», beaucoup de gens le croient.

Le dossier Keystone XL place le président Obama dans une situation politique délicate. S'il donne sa bénédiction au projet, il enragera les écologistes qui font partie de la base militante du Parti démocrate. S'il le rejette, il embarrassera des sénateurs démocrates favorables à l'oléoduc, ce à quelques mois des élections de mi-mandat. Par son apathie dans le dossier des changements climatiques, le gouvernement Harper a rendu le dilemme de M. Obama encore plus douloureux.

Néanmoins, un jour ou l'autre, le président devra décider. Outre l'aspect politique interne de la question, les différents éléments du problème sont désormais bien connus. Le pétrole albertain va se rendre aux raffineries américaines, c'est certain. Il s'agit de savoir s'il le fera par quelques oléoducs, dont Keystone XL, ou par des centaines de trains noirs.