Bien que le taux de participation aux élections montréalaises soit resté faible, à 41%, les résultats du scrutin montrent que la démocratie municipale n'est pas moribonde. Les Montréalais qui se sont présentés aux urnes ont évité la facilité d'un appui massif à un candidat à la mairie et à son parti. Ils ont voté de façon réfléchie, selon leur évaluation de chaque candidat à chaque poste, de sorte qu'on se retrouve avec un conseil municipal multicolore, représentatif de la diversité métropolitaine. On est bien loin du temps où un maire pouvait rafler une écrasante majorité des sièges (Gérald Tremblay, 2005), voire la totalité (Jean Drapeau, 1970).

Le phénomène de l'éparpillement des votes n'est pas unique à la politique municipale. On le voit aussi à l'oeuvre aux niveaux fédéral et provincial. Le système bipartite y a été ébranlé. À Ottawa, le NPD est devenu l'Opposition officielle. À Québec, l'ADQ a réussi le même exploit en 2007. Aujourd'hui, quatre partis siègent à l'Assemblée nationale et même le plus petit, Québec Solidaire, n'est pas dépourvu d'influence.

Le facteur ayant le plus contribué à cette évolution est sans doute l'effritement de la loyauté partisane des électeurs. Autrefois, on était rouge ou bleu de père en fils. Aujourd'hui, les citoyens sont indépendants d'esprit et les partis ne peuvent tenir leur vote pour acquis. Les électeurs se donnent le droit de changer d'idée jusqu'au jour du vote. Plus instruits, branchés en permanence à internet, ils ont facilement accès à toute l'information dont ils ont besoin sur les partis et les candidats.

De plus, le désabusement à l'égard de la classe politique est grand. La tentation est forte de voter audacieux, de brasser la cage (Mario Dumont au provincial, la «vague orange» au fédéral, Mélanie Joly au municipal).

Les gouvernements minoritaires sont aujourd'hui monnaie courante. Ce que les tenants d'une réforme du mode de scrutin espéraient obtenir, soit une meilleure représentation de la variété des opinions dans les assemblées législatives, les électeurs l'ont réalisé par eux-mêmes.

Comme Jean Charest et Stephen Harper lorsqu'ils étaient minoritaires, Denis Coderre devra tenir compte du point de vue des élus qui ne sont pas de son équipe. Dans une telle situation, l'arrogance, les abus de pouvoir et les dérapages éthiques sont moins probables.

Par contre, les problèmes auxquels font face les administrations publiques exigent du courage et une vision à long terme (les déficits abyssaux des régimes de retraite, par exemple). Or, les gouvernements minoritaires sont hypersensibles à la critique et leur regard porte rarement plus loin que le lendemain matin.

À tout prendre, il vaut sans doute mieux qu'un maire ou un premier ministre ne se sente pas tout-puissant, que la composition diversifiée de l'assemblée le force à négocier avec les différents courants d'opinion. Cela exige des talents politiques particuliers, un leadership de finesse plus que d'autorité. L'avenir dira si le nouveau maire de Montréal est à la hauteur de ce défi exigeant.