Le citoyen n'a pas seulement le droit d'avoir des croyances religieuses, il a le droit de les exprimer. Mécontents du jugement de la Cour d'appel sur la prière au conseil municipal de Saguenay, plusieurs ont soutenu que la religion devrait être confinée au domaine privé.

C'est un point de vue répandu au Québec. Selon le sondage Léger Marketing publié la semaine dernière par le gouvernement provincial, 57% des Québécois sont d'accord avec l'énoncé suivant: «Il faut interdire tout signe religieux sur la place publique. La religion est une affaire privée et doit se manifester seulement en privé.»

Si cette donnée représente fidèlement l'opinion d'une majorité des Québécois, il faut conclure que la population a une compréhension bien trop restrictive de la liberté de religion. Il en est de celle-ci comme de la liberté d'opinion: le citoyen n'a pas seulement le droit d'avoir des convictions et des croyances, il a le droit de les exprimer. Sans ce dernier, le premier droit perd pratiquement tout son sens.

La liberté de manifester sa foi publiquement est affirmée par maints textes juridiques nationaux et internationaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Elle a été confirmée par de nombreux tribunaux, en Europe comme en Amérique.

Contrairement au droit d'entretenir une foi, celui de la manifester n'est toutefois pas absolu. Un État peut l'encadrer, par exemple pour des motifs d'ordre public ou pour protéger les droits d'autrui. C'est là que s'ouvre une vaste zone grise, le lieu des accommodements et des conflits, source d'inquiétudes légitimes et de préjugés déplorables.

C'est à ce flou que bon nombre de Québécois voudraient mettre fin une fois pour toutes en confinant toutes les manifestations religieuses à l'espace privé. Toutefois, il y aurait là une violation grave des droits fondamentaux des croyants.

C'est aussi dans l'espoir de clarifier les choses que certains prônent la rédaction d'une «charte de la laïcité». Quoi qu'on pense de cette démarche, une chose est sûre: une telle charte n'empêcherait pas les accrochages entre la liberté de religion et d'autres droits et valeurs.

On le voit en France, où la laïcité de l'État est pourtant affirmée depuis plus de deux siècles. Dans une décision récente, le Défenseur des droits, équivalent français de notre Commission des droits de la personne, a rappelé que «même dans une société démocratique laïque, de simples citoyens ne peuvent être soumis à une obligation de discrétion dans l'expression publique de leurs convictions religieuses.»

Cela étant, sauf dans les cas où la collision est inévitable, la voie des accommodements et de la tolérance reste la meilleure. L'affaire de la prière à Saguenay n'aurait pas dû se rendre devant les tribunaux. Le conflit a pris une telle ampleur seulement parce que les deux parties (surtout le maire, selon la Cour d'appel) ont été déraisonnables. Avec davantage de bonne volonté de part et d'autre, il aurait été facile de trouver... un accommodement.