Mme Pauline Marois était bien mal placée pour inviter la commission Charbonneau à la prudence. D'abord, comme première ministre, elle doit absolument éviter de s'ingérer ou de paraître s'ingérer dans les travaux de la commission. De plus, depuis des mois, Mme Marois et son parti se délectent de tout ce qui est dit devant la commission pour accuser leurs adversaires des pires maux de la Terre. Jusqu'à ce que certains des leurs soient embarrassés, la présomption d'innocence qu'invoquent aujourd'hui les péquistes, le trémolo dans la voix, semblait être le dernier de leurs soucis.

À la suite du témoignage de l'entrepreneur Lino Zambito, l'automne dernier, le ministre Bernard Drainville avait conclu que le Parti libéral était «rongé par le financement occulte». Jeudi, au sujet des allégations concernant le péquiste Guy Chevrette, il se faisait tout à coup scrupuleux: «Avant de condamner quelqu'un sur la base d'un seul témoignage, voulez-vous s'il vous plaît être prudents?»

Cela dit, sur le fond, Mme Marois et M. Drainville ont raison: tous doivent éviter de sauter aux conclusions à partir d'une preuve incomplète. La responsabilité première à cet égard revient à la commission elle-même. Or, à notre avis, elle pourrait faire mieux.

Il faut bien sûr reconnaître que les commissaires et leurs procureurs ont une tâche très difficile. Le mandat est vaste, la preuve gigantesque, les témoins nombreux. Néanmoins, la Commission devrait ajuster sa façon de faire afin de réduire les risques que des réputations soient inutilement salies. Elle peut se faire plus prudente sans devenir timorée.

Par exemple, procureurs et commissaires paraissent souvent complaisants à l'endroit des témoins qui déballent leur sac, comme si ce qu'ils disaient était nécessairement plus véridique que les propos de témoins moins volubiles. Cette différence d'attitude n'a pas lieu d'être. Si Gilles Cloutier avait été questionné de façon plus serrée, certaines de ses allégations auraient peut-être paru plus solides encore, tandis que d'autres auraient pu être vite écartées.

Sans doute la commission compte-t-elle sur les contre-interrogatoires pour rétablir l'équilibre. Elle sait aussi que dans son rapport, elle pourra séparer le bon grain et l'ivraie. Sauf que, à la vitesse où circule l'information de nos jours, de tels délais ont des conséquences néfastes pour les personnes injustement impliquées.

«Nos commissions ressemblent davantage à des chasses aux sorcières qu'à des enquêtes ayant comme objectifs de renouveler nos politiques publiques: bon spectacle, mauvais résultat!» a écrit le juriste Roderick Maddonald, quelques mois avant d'être nommé membre de la commission Charbonneau. La Commission devrait s'inspirer de sa sagesse: s'attacher moins au spectacle qu'à la découverte de la vérité, avec toutes les zones de gris qui la caractérisent.