Il n'y a pas seulement les contribuables montréalais qui ont été victimes du système de collusion et de corruption dans la gestion des contrats de la Ville de Montréal. Il y a aussi plusieurs personnes honnêtes qui ont participé au système à contrecoeur.

Il est facile de porter un jugement sur ces gens-là, de considérer que tous ceux qui ont accepté les règles du jeu malsaines mises en place à Montréal sont des croches ou des poltrons. Les choses ne sont pas aussi simples.

Tout indique que les ingénieurs François Perreault (autrefois chez Genivar), Charles Meunier (ex-BPR) et Yves Cadotte (SNC-Lavalin), qui ont témoigné cette semaine devant la commission Charbonneau, sont des personnes intègres et des professionnels consciencieux. Pourtant, les trois hommes - et leurs entreprises respectives - ont cédé aux exigences du responsable du financement d'Union Montréal, Bernard Trépanier. En échange d'un accès aux contrats de la Ville, ils ont versé des contributions politiques illégales de plusieurs milliers de dollars. Ils ont apporté des enveloppes bourrées de billets à M. Trépanier. Ils ont fait des soumissions de complaisance et approuvé de fausses factures.

«Tout le monde était catastrophé par cette affaire-là, a expliqué M. Meunier. Mais le choix c'est: tu fais ça ou tu ne travailles pas à Montréal. Puis mon choix à moi, c'est: je participe à ça ou je change de job.»

«Avez-vous déjà pensé dénoncer cette façon de faire à la police?», lui a demandé le commissaire Renaud Lachance.

- «Non, j'avais peur de ça. Je trouvais ça bien trop gros.»

Et c'est ainsi que tous les bureaux de génie-conseil intéressés par les travaux publics à Montréal ont mis le bras dans le tordeur mis en place, ont dit les témoins, par M. Trépanier.

«Toutes les firmes avaient l'appât du gain et peu de conscience sociale, parce que si on avait eu une conscience sociale, il y a quelqu'un qui aurait dénoncé le système», a tranché la présidente de la commission, France Charbonneau. C'est le plus troublant: que tout le monde ait accepté de jouer le jeu, même une géante comme SNC, pour qui les contrats municipaux constituaient une minuscule partie des affaires. Appât du gain ou faiblesse? «Quand la roue tourne et que tu es dedans, elle est dure à arrêter», a expliqué M. Perreault. Il faut du courage pour dénoncer un système lorsque tout le monde en fait partie, lorsque son rang dans l'entreprise, voire son emploi est en jeu. Or, le courage ne court pas les rues.

Pourtant, il a fallu peu de choses pour mettre un terme à tout ça. Après la publication de plusieurs reportages et la mise sur pied de l'UPAC, le système de collusion et de corruption s'est effondré en 2009. Il n'a pas été nécessaire de rendre les lois plus sévères. Comme pour la vitesse excessive sur les routes, il suffisait que les gens se mettent à craindre de se faire prendre. La peur a alors pris le dessus sur les autres faiblesses. Ainsi va la nature humaine.