La commission Charbonneau sur la corruption et la collusion dans l'industrie de la construction reprend ses audiences ce matin. Avec ce qu'on a appris pendant la pause des Fêtes, c'est à se demander s'il ne faudrait pas placer un avertissement en surimpression pendant la diffusion de ses travaux: «Attention! Un seul témoignage ne suffit pas à établir les faits.»

Blague à part, tous, à commencer par la Commission elle-même et par les médias, doivent tirer un enseignement des récents développements.

L'un des témoignages les plus spectaculaires de l'automne dernier a été celui de l'organisateur politique Martin Dumont. Ses propos-chocs ont fait déborder le vase et mené le gouvernement Marois à exiger la démission du maire Tremblay. Or, il semble que les procureurs de la Commission ont maintenant des doutes sur la véracité de certaines révélations faites par M. Dumont. Il y a là une leçon à retenir: ce n'est pas parce qu'un témoin raconte des anecdotes savoureuses ou parce que ce qu'il dit correspond à notre vision des choses qu'il faut le croire sur parole.

La vérité n'est jamais blanche ou noire. Chaque personne se souvient des choses à sa manière. Consciemment ou non, chacun défend ses intérêts. Les règles d'une enquête publique ont beau être moins exigeantes que celles d'un procès criminel, il reste que la vérité ne peut pas être établie avant que toutes les informations aient été recueillies, que toutes les personnes concernées aient été entendues.

Il est difficile de porter un jugement sur le travail de la Commission; nous ne savons pas ce que les procureurs savent. Néanmoins, il nous a semblé que, jusqu'à maintenant, elle n'a pas accordé suffisamment d'attention à la protection des réputations. Les procureurs ont semblé tenir pour acquis que les témoins délateurs disent toute la vérité, rien que la vérité. La commissaire Charbonneau s'est montrée agressive à l'endroit des avocats qui, en contre-interrogatoire, voulaient mettre les témoins à l'épreuve, comme c'est leur devoir de le faire. Elle a notamment semoncé l'avocat d'Union Montréal parce que celui-ci s'attaquait à la crédibilité de Martin Dumont. Nous avons fait de même dans cette colonne. Finalement, Me Michel Dorval avait peut-être raison.

Une enquête publique n'a pas pour mandat de déterrer le plus gros scandale possible mais d'établir la vérité. Si la corruption est encore plus étendue qu'on le croyait, la commission Charbonneau devra le dire, preuve à l'appui. Si le phénomène est moins grave qu'on le craignait, les commissaires devront le faire savoir aussi, même si cela leur attirera certainement les foudres des commentateurs et du public (voir le rapport du juge Hutton au Royaume-Uni en 2004).

D'ici là, la Commission devra faire preuve de davantage de prudence dans ses travaux, consciente de l'impact dévastateur que ceux-ci peuvent avoir sur la réputation des personnes et sur la confiance de la population dans notre système démocratique.

apratte@lapresse.ca