Depuis la publication de son rapport, Jacques Duchesneau est vu par la plupart des citoyens comme un chevalier sans peur et sans reproche, luttant presque seul contre la corruption dans les milieux de la construction et de la politique. Cependant, les contre-interrogatoires qu'il subit depuis deux jours devant commission Charbonneau ont mis à mal la rigueur du rapport en question. Que faut-il conclure?

Les mérites de Jacques Duchesneau sont incontestables. Tout au long de sa carrière, il a fait preuve d'une détermination et d'un courage qui ont bien servi l'intérêt public. C'est la publication de son rapport qui a forcé le gouvernement à mettre en place, enfin, cette commission d'enquête.

Cela dit, le comportement de M. Duchesneau au cours des derniers mois amène à s'interroger sur la justesse des conclusions auxquelles il est arrivé. Cela ne veut pas nécessairement dire que sa crédibilité est «grandement affectée», comme l'a soutenu hier l'avocate du Parti québécois, Me Estelle Tremblay. Simplement, tout ce que soutient le premier témoin-vedette de la commission Charbonneau ne peut plus être considéré comme parole d'évangile.

L'ex-patron de l'Unité anticollusion (UAC) a la fâcheuse habitude de tirer des conclusions générales et spectaculaires d'une preuve visiblement incomplète. C'était le cas du texte de son rapport. Ce l'est encore des propos qu'il a tenus devant la Commission mardi, selon lesquels «70% de l'argent consacré aux partis provinciaux ne serait pas issu de dons officiels enregistrés». Ces formations politiques seraient en bonne partie financées par de l'«argent sale» provenant de «manigances, de stratégies de complaisance et d'arrangements» impliquant les organisateurs et les firmes de génie.

Si la réalité était telle, les principaux partis amasseraient chaque année, clandestinement, des millions de dollars. Et personne ne s'en serait rendu compte? Peu plausible.

Devant la gravité des informations recueillies au fil de son enquête «bénévole», pourquoi M. Duchesneau a-t-il seulement remis son deuxième «rapport» à la Commission la veille de son témoignage? Pourquoi n'a-t-il pas fait état de ces renseignements au Directeur général des élections? Venant d'un ancien policier, ce peu d'empressement à collaborer avec enquêteurs dûment mandatés est incompréhensible et décevant.

Me Tremblay croit que l'enquête solitaire entreprise par M. Duchesneau était illégale. Ce n'est pas à nous d'en juger. Chose certaine, la démarche était irresponsable et nuisible. N'ayant plus de mandat de l'État, M. Duchesneau aurait dû se contenter de renvoyer à la commission Charbonneau les personnes qui souhaitaient lui parler.

La police, les enquêteurs de l'UAC et les journalistes ont entendu suffisamment de choses au cours des deux dernières années pour qu'on soupçonne très fortement l'existence de nombreuses pratiques douteuses dans l'attribution des contrats publics et dans le financement des partis provinciaux et municipaux. Cependant, seule la commission Charbonneau sera en mesure de déterminer l'ampleur et la gravité du problème. D'où son utilité, plus évidente que jamais.