Le ministre fédéral des Transports, Denis Lebel, a évoqué la possibilité que le nouveau pont Champlain soit baptisé «pont Maurice-Richard.» «Le nom de Maurice Richard a beaucoup été évoqué jusqu'ici. Les gens nous disent que c'est un digne représentant du Québec, qui faisait l'unanimité», a dit M. Lebel au chef du bureau de La Presse à Ottawa, Joël-Denis Bellavance.

L'idée, qu'avait lancée l'an dernier le chroniqueur Stéphane Laporte dans La Presse, semble sourire à beaucoup de gens. À la Question du jour posée hier par lapresse.ca, 6 participants sur 10 ont exprimé leur accord avec la proposition avancée par M. Lebel.

Le ministre promet des consultations publiques sur le sujet, le temps venu. De telles consultations s'imposent, en effet. En matière de toponymie, la précipitation et l'émotion sont souvent mauvaises conseillères.

Avant d'envisager de donner le nom du Rocket à la nouvelle structure, il faut se demander si on devrait larguer celui du fondateur de Québec. Puisque le vieux pont sera détruit, pourquoi ne pas simplement transférer le nom à l'ouvrage qui lui succédera?

Bien sûr, les Québécois d'aujourd'hui sont plus familiers avec les exploits de Maurice Richard qu'avec ceux de Champlain. Ça ne veut pas dire que les premiers furent plus importants que les seconds. Dans une extraordinaire biographie publiée récemment (Le rêve de Champlain, chez Boréal), l'historien américain David Hackett Fischer montre que sans le génie et l'entêtement de l'explorateur pendant 32 ans, il n'y aurait tout simplement pas eu de présence francophone durable en Amérique du Nord. L'homme était un visionnaire, un meneur d'hommes exceptionnel. Il a longuement exploré et minutieusement cartographié le fleuve que «son» pont enjambe aujourd'hui. Si nous connaissions mieux notre histoire, nous n'envisagerions pas avec indifférence la disparition du nom de Samuel de Champlain du paysage montréalais.

Depuis le décès du célèbre numéro 9 en 2000, plusieurs suggestions ont été faites pour honorer sa mémoire. Donner son nom à l'une des plus importantes infrastructures de transport du Canada serait certainement une façon de le faire. Cependant, ce serait aussi affirmer que M. Richard fut, parmi tous les personnages de notre histoire, l'un des trois ou quatre plus significatifs. N'est-ce pas excessif?

Loin de nous l'idée de minimiser les mérites exceptionnels de Maurice Richard, à la fois comme athlète et comme incarnation des aspirations d'un peuple. Sa mémoire doit absolument être honorée par la désignation d'un ouvrage important (pourquoi pas le pont Viau, à proximité de la maison que le Rocket a longtemps habitée?).

Dans notre réflexion collective sur la question, gardons à l'esprit que sans Samuel de Champlain, il n'y aurait pas eu de Canada français, pas de peuple québécois, pas de ville de Montréal. Pas de Maurice Richard.