En temps normal, on s'intéresse assez peu à la Caisse de dépôt et placement du Québec malgré son énorme actif de 160 milliards. Les politiciens n'en parlent que pour flatter l'orgueil national des Québécois ou bien, quand le rendement est mauvais, pour embarrasser le parti au pouvoir.

Cette indifférence explique que le virage annoncé par le président Michael Sabia, d'abord dans le rapport annuel il y a deux mois, puis dans un discours la semaine dernière, n'a pas eu beaucoup d'échos hors des pages économiques des quotidiens. Il s'agit pourtant d'un changement fondamental de stratégie, un changement dont l'impact se fera sentir longtemps.

Des dernières années de tumultes dans les marchés boursiers, les dirigeants de la CDPQ ont retenu que ceux-ci étaient trop volatils, dictés par l'obsession du rendement à court terme. De plus, l'aventure du papier commercial les a amenés à se méfier comme de la peste des «produits abstraits, dont la valeur dépend seulement des calculs des mathématiciens», dit M. Sabia.

Désormais, la Caisse privilégiera les investissements dans l'«économie réelle». Cela veut dire des placements privés (négociés directement avec l'émetteur) dans des entreprises solides et des propriétés dans les infrastructures et l'immobilier. Les récents placements de l'institution, dans CGI (un milliard), Genivar (99 millions) et la Banque Laurentienne (100 millions), montrent que cette nouvelle stratégie devrait profiter aux entreprises d'ici. La contribution de la Caisse a permis à ces trois compagnies d'acquérir de nouveaux actifs. Par exemple, grâce à l'achat de la firme britannique Logica, CGI prendra le sixième rang mondial dans son domaine.

Conséquence logique de la nouvelle orientation, la part des actions acquises à la bourse dans l'actif de la Caisse - actuellement 35% - diminuera graduellement. Cela devrait la mettre à l'abri, autant que faire se peut, de l'irrationalité des marchés. Nous applaudissons.

Toutefois, tout placement comporte des risques. Les équipes d'investissement de l'institution devront prendre garde de ne pas se laisser emporter par l'enthousiasme que suscite toute nouvelle mode, le péché des apôtres des modèles mathématiques qui a mené à la catastrophe de 2008.

Quoi qu'il en soit, la rentabilité du virage de la Caisse de dépôt devra être évaluée dans une perspective de longue durée. Là réside un des principaux défis de Michael Sabia: résister aux pressions des médias et des politiciens qui, comme les acteurs des marchés boursiers, ne s'intéressent qu'au court terme.