Un profond malaise s'est emparé du Québec. La violence qui éclate chaque soir au centre-ville de Montréal répugne à tous. Ce désordre et ses causes déchirent notre société. Il nuit à la réputation de ceux qui manifestent comme à celle de ceux qui les appuient et des forces de l'ordre. Et il coûte terriblement cher: aux pouvoirs publics, aux commerces, à l'industrie touristique, bref, à nous tous.

Nous ne le répéterons jamais assez: rien, au Québec, ne justifie le recours à la violence. Ceux qui en ont marre du gouvernement Charest pourront voter contre lui d'ici quelques mois. Ceux qui s'opposent à la hausse des droits de scolarité peuvent manifester pacifiquement de toutes sortes de manières et ainsi gagner l'appui de la population, comme l'ont fait d'autres groupes avant eux (Orford, Suroît, etc.). Ceux qui sont scandalisés par la loi 78 peuvent la contester devant les tribunaux.

Aussi injustifiées soient-elles, ces émeutes semblent devoir se répéter et la force policière seule n'en viendra pas à bout. C'est pourquoi, sans abandonner leurs différents points de vue, chaque parti politique, chaque syndicat, chaque groupe d'intérêt, chaque Québécois doit désormais mettre le retour au calme au premier rang de son action. Au point où nous en sommes, il importe peu de savoir qui a eu tort ou raison, qui aurait dû faire ceci ou cela. Ce qui compte maintenant, c'est la paix sociale. Sinon il risque de se passer quelque chose de plus grave encore que ce que nous avons vu au cours des dernières semaines.

Le gouvernement est le premier responsable du maintien de cette paix sociale. Aujourd'hui, les collèges et facultés en grève sont fermés et la police a en main des moyens supplémentaires pour rétablir l'ordre. Il est temps que le gouvernement tende la main à ses critiques, sans pour autant reculer sur l'essentiel des politiques adoptées légitimement. La fermeté doit être maintenue, l'arrogance et l'entêtement doivent être abandonnés.

Cette branche d'olivier peut prendre plusieurs formes. Par exemple, la ministre de l'Éducation devrait convoquer de nouvelles rencontres avec les associations étudiantes. Il ne suffit pas de maintenir ouvertes les lignes de communication, il faut que la population voie que le gouvernement fait l'impossible pour conclure une entente. S'il faut que les négociations durent deux mois, eh! bien, allons-y, explorons toutes les pistes de solution.

La loi 78 a été adoptée à toute vitesse et on a vu, au cours des débats, que le gouvernement n'en comprenait pas toutes les implications. Si l'urgence exige parfois qu'on procède rapidement, elle n'empêche pas qu'on cherche ensuite à arrondir les angles. Le ministre de la Justice devrait entreprendre rapidement de consulter des experts et personnes intéressées par ces questions afin de clarifier les passages de la loi qui suscitent des inquiétudes légitimes.

Enfin, au-delà de la violence, le conflit étudiant a révélé une soif des jeunes de se faire entendre et respecter par la classe politique. Le gouvernement doit se mettre à l'écoute. Une commission parlementaire itinérante pourrait consacrer les prochains mois à une consultation approfondie de la jeunesse québécoise.

La responsabilité du retour au calme ne repose pas seulement sur les épaules du gouvernement, mais également sur celles de ses adversaires. Ceux-ci, qu'il s'agisse des partis de l'opposition ou des syndicats, doivent eux aussi baisser le ton. D'abord, ils doivent cesser de rendre le gouvernement libéral responsable de la violence. Les seuls responsables du vandalisme et du désordre sont ceux qui les commettent et les cautionnent. Les leaders d'opinion qui croient en la démocratie doivent dire aux casseurs que leur façon de faire est intolérable, point. Et ils doivent appuyer les policiers qui tentent d'éviter le pire.

Ensuite, les opposants des libéraux doivent être plus mesurés dans leurs critiques. La hausse des droits de scolarité peut certes être dénoncée, mais ce n'est pas une mesure qui justifie une crise sociale d'une telle ampleur. De plus, la loi 78 ne transforme pas le Québec en dictature. Par exemple, le délai de huit heures désormais exigé des organisateurs d'une manifestation pour transmettre leur trajet aux autorités se compare avantageusement avec ce qui existe ailleurs dans le monde.

Enfin, les leaders étudiants modérés ont aussi leur bout de chemin à faire. Ils répètent qu'ils n'ont rien à voir avec la violence. Si c'est le cas, ils devraient s'en dissocier complètement en déclarant que ces manifestations nocturnes, sans trajet annoncé à l'avance, nuisent à la cause étudiante parce qu'elles favorisent l'action des casseurs. Ils devraient suggérer aux étudiants d'éviter ce genre d'événements. Ceux qui continueraient d'y participer perdraient toute légitimité.

Citant Raymond Aron au sujet des événements de mai 1968, Joseph Facal écrivait hier dans Le Journal de Montréal: «Quand les leaders étudiants ne contrôlent plus leurs troupes, quand les casseurs prennent le dessus, on choisit son camp: l'État, le Parlement, les tribunaux, avec leurs défauts et leurs limites, ou la rue, le désordre et son cortège d'effets pervers sur des citoyens qui n'ont rien fait pour mériter cela.»

Voilà le choix auquel font face tous les acteurs de la crise actuelle: la démocratie ou la violence de la rue. C'est l'une ou l'autre. Ceux qui choisissent la première ont le devoir d'agir résolument et intelligemment en faveur d'un retour au calme.

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