Les deux sujets qui ont retenu l'attention lors du plus récent débat, jeudi soir, entre les quatre candidats à l'investiture du Parti républicain relèvent de leur vie privée. Ce fait est une illustration d'une tendance malsaine, en politique américaine, d'accorder à des questions privées une importance démesurée.

Newt Gingrich a d'abord dû répondre aux allégations de sa seconde femme (il en est à son troisième mariage). Selon Marianne Ginther, qui a divorcé du politicien il y a une dizaine d'années, Gingrich lui aurait proposé un «mariage ouvert» de sorte qu'il puisse poursuivre sa relation avec sa maîtresse. Ce n'est pas la première fois que Mme Ginther dénonce les infidélités de son ancien mari, mais l'affaire a resurgi à la faveur d'une entrevue diffusée le soir même du débat. Questionné à ce sujet, l'ancien congressman en a profité pour s'en prendre aux «médias élitistes qui protègent Barack Obama en attaquant les républicains», ce qui lui a valu une ovation. Certains analystes croient que cette habile réplique pourrait permettre à Newt Gingrich de devancer Mitt Romney en Caroline-du-Sud, où les républicains se prononcent aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, la question de fond demeure: le comportement amoureux d'un politicien est-il d'intérêt public?

Quant à Romney, on lui a demandé s'il allait rendre publiques ses déclarations d'impôt. Ces documents suscitent l'intérêt des journalistes en raison de l'importance de sa fortune. L'ancien gouverneur du Massachusetts a dit qu'il allait «probablement» le faire. C'est devenu pratique courante aux États-Unis que les candidats aux élections présidentielles dévoilent en tout ou en partie leurs déclarations d'impôt. La situation fiscale des politiciens est-elle vraiment d'intérêt public?

Heureusement, au Canada, les médias font preuve de plus de retenue. Cependant il n'est pas exclu que l'exemple américain déteigne sur nous.

La règle devrait être la suivante: les questions privées sont d'intérêt public si elles révèlent un comportement risquant de nuire à la capacité d'un candidat d'assumer des responsabilités gouvernementales. Elles sont également d'intérêt public si elles contredisent ses prétentions ou déclarations publiques. Ainsi, si un politicien utilise sa vie privée (l'image de la famille parfaite, par exemple) à des fins politiques, il s'expose à ce que des informations contredisant cette image soient diffusées.

Cela dit, la prudence s'impose. La liste de grands hommes d'État dont la vie personnelle ou le comportement ne fut pas toujours d'une parfaite moralité est longue, qu'on pense à John A. Macdonald, à Winston Churchill, à John F. Kennedy ou à René Lévesque. Et bien que ses propos visaient évidemment à détourner l'attention du fond de l'affaire, on ne peut que donner raison à Gingrich lorsqu'il affirme que ce genre de controverse «rend plus difficile de gouverner le pays et d'attirer des personnes décentes dans la vie publique.»