En apprenant, grâce à nos collègues André Dubuc et Francis Vailles, que la filiale immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec comptait parmi ses cadres supérieurs deux anglophones unilingues, politiciens et commentateurs y ont vu une preuve supplémentaire du recul du français dans la province. Paradoxalement, on pourrait aussi y voir un effet pervers des progrès que continuent de faire les Québécois francophones dans le monde des affaires.

La nomination de Kim McInnes au poste de président, Exploitation d'Ivanhoé Cambridge et de David Smith à celui de vice-président Ressources humaines est en quelque sorte l'aboutissement de la croissance fulgurante du portefeuille immobilier de la Caisse au cours des trois dernières décennies. Le printemps dernier, la Caisse a annoncé la fusion de ses deux grandes filiales immobilières, la SITQ et Invanhoé Cambridge. La société Ivanhoé Cambridge ainsi créée devenait l'un des dix plus grands propriétaires immobiliers du monde, avec des actifs d'une valeur de 31 milliards (80% hors du Québec). Le siège social de ce nouveau géant se trouve à Montréal. La plupart des membres du conseil d'administration et du conseil de direction de même que la grande majorité des employés du siège social, notamment plusieurs «jeunes loups» à qui on promet un brillant avenir, sont francophones.

Toutefois, en fusionnant deux entités aux cultures distinctes, dont l'une, Ivanhoé Cambridge, comptait plusieurs dirigeants et employés de l'extérieur du Québec, la Caisse allait faire face à un défi inusité: comment faire des affaires dans le monde entier, comment acquérir des sociétés hors-Québec ou étrangères tout en s'assurant que les Québécois francophones oeuvrant au siège social puissent, pour l'essentiel, travailler dans leur langue? Le problème n'est pas simple; il ne se règle pas en «renforçant la loi 101», idée politicienne simpliste qui n'est pas adaptée aux situations humaines, culturelles et financières complexes vécues par les grandes entreprises d'aujourd'hui.

C'est parce qu'elle craignait de voir la fusion lui faire perdre les meilleurs éléments d'Ivanhoé Cambridge que la direction de la Caisse a nommé mm. McInnes et Smith à des postes stratégiques. Ce faisant, elle le reconnaît maintenant, elle a négligé l'aspect, appelons-le national, de sa mission. À quoi sert-il aux gens d'affaires québécois francophones de conquérir le monde s'ils doivent laisser leur langue maternelle au vestiaire en rentrant au bureau le matin? Quelle est l'utilité d'un siège social à Montréal si tout s'y passe en anglais?

La Caisse a annoncé hier des mesures qui devraient suffire à corriger la situation chez Ivanhoé Cambridge. Souhaitons que cette controverse suscite aussi une réflexion au sein des entreprises québécoises qui font des affaires hors de la province et de celles qui rêvent de suivre leurs traces.