Hier, nous avons souligné combien étaient troublantes les révélations faites par le rapport de l'Unité anticollusion dirigée par M. Jacques Duchesneau. C'est en particulier le cas des informations selon lesquelles le crime organisé profiterait des travaux publics pour blanchir de l'argent et s'enrichir aux dépens des contribuables. Dans l'état actuel des choses, rien d'autre qu'une enquête publique ne calmera la colère populaire.

Par ailleurs, il ne faut pas faire dire au rapport Duchesneau davantage que ce qu'il dit réellement. En particulier, le document ne permet pas de conclure qu'il existe un système reliant le milieu criminel, les dépassements de coûts sur les chantiers et le financement des formations politiques. Si l'on en juge par le peu d'espace que le rapport consacre à ce sujet - la page 50 et le tiers de la page 51 - l'UAC a encore peu enquêté là-dessus. Les passages consacrés à la question sont d'ailleurs truffés de points d'interrogation. On y trouve deux citations. La première, d'un ex-conseiller politique, décrit un subterfuge grâce auquel des entreprises contribuaient à la caisse des partis au moyen de dons au nom de leurs employés. Il y a cinq ans, une enquête commandée par le Directeur général des élections concluait que ce stratagème était «connu depuis longtemps et largement utilisé», tous partis confondus. Depuis ce temps, les règles ont été resserrées. L'an dernier, l'Assemblée nationale a adopté plusieurs changements qui devraient mettre un frein au système de «financement sectoriel». Dorénavant, une entreprise qui cherche à contourner la Loi électorale de cette manière s'exposera à être privée de contrats publics pour trois ans.

Le rapport Duchesneau cite aussi un ingénieur selon lequel des entreprises se servent des «extras» versés par le ministère des Transports pour financer les partis politiques. La citation est inquiétante, mais l'UAC ne l'étaye d'aucune autre information.

Après ces quelques passages, le rapport conclut: «S'il devait y avoir une intensification du trafic d'influence dans la sphère politique, on ne parlerait plus simplement d'activités criminelles marginales, ni même parallèles: on pourrait soupçonner une infiltration voire une prise de contrôle de certaines fonctions de l'État ou des municipalités.» Une phrase-choc s'il en est, mais tout écrite au conditionnel. L'UAC aurait dû fouiller davantage cette question délicate avant de lancer cet autre pavé dans la mare.

Le premier ministre doit commenter aujourd'hui le rapport Duchesneau. M. Charest reste sans doute convaincu qu'une commission d'enquête publique serait aussi néfaste pour son parti que la commission Gomery l'a été pour le Parti libéral fédéral. Peut-être. Toutefois, réalise-t-il qu'en refusant de se plier à la volonté populaire, il court non seulement vers la défaite mais vers le discrédit?