À première vue, il y a quelque chose de démesuré dans la peine qu'expriment des milliers de Canadiens depuis l'annonce du décès de Jack Layton. Hier, les Torontois se sont massés devant l'hôtel de ville de la Ville reine pour rendre un dernier hommage au chef de l'opposition officielle.

Pourtant, lors des élections du 2 mai dernier, seulement un électeur ontarien sur quatre a voté en faveur du NPD. Nul signe d'une vague orange au Canada anglais; la vague n'y a pris naissance qu'à la suite du décès de M. Layton.

On attribue cette vive émotion exprimée par les Canadiens au fait que Jack Layton était un politicien différent. Pourtant, le chef du NPD était, jusqu'au bout des ongles, un professionnel de la politique. Sa vie tout entière, y compris au seuil de la mort, fut menée avec la politique à l'esprit. On l'a vu dans la lettre d'adieu qu'il a fait publier après sa mort, un document beaucoup plus politique que personnel.

Tout cela fait dire à quelques commentateurs, telle Christie Blatchford du National Post, que la réaction populaire et la couverture médiatique sont excessives. Toutes proportions gardées, ce désaccord entre une certaine élite et la population fait penser à l'émotion suscitée par la mort de la princesse Diana en 1997. Plusieurs avaient déploré l'hystérie que ne justifiait pas, selon eux, le comportement de Diana au cours de son mariage malheureux. Toutefois, l'émotion populaire ne se condamne pas plus qu'elle ne se commande. Le premier ministre, Tony Blair, l'avait bien compris. Malgré ses problèmes personnels, avait-il souligné, «les gens avaient foi en Diana, ils l'aimaient. Elle était la princesse du peuple et c'est ainsi qu'on se souviendra d'elle.»

Il y a un petit peu de cela dans la réaction des Canadiens aujourd'hui. Idéaliste, optimiste, M. Layton a toujours cherché à aider, concrètement, les gens ordinaires. Qu'ils aient voté pour lui ou non, ceux-ci sentaient que Jack Layton était des leurs. Lundi, ils ont perdu un ami, comme l'a bien résumé Alain Dubuc.

On ne saura jamais ce qui serait arrivé si M. Layton avait été porté au pouvoir. Sans doute, comme tous ses prédécesseurs, il aurait dû faire des compromis, mettre de côté certaines promesses, décevoir des militants.

Le destin a voulu qu'il meure au lendemain de résultats électoraux spectaculaires. Que, pour cette raison, sa mort ait été particulièrement tragique. Et que, n'ayant pas eu à faire face à la réalité du pouvoir, restent de lui, intactes, sa compassion et ses généreuses intentions.

Jack Layton est devenu le politicien du peuple. Et c'est ainsi que les Canadiens se souviendront de lui.