La couverture faite par les médias dans les heures qui ont suivi le carnage en Norvège a été la cible de nombreuses critiques. L'une des plus virulentes est venue du rapporteur spécial sur la liberté de religion de l'ONU. «Le fait que plusieurs commentateurs ont immédiatement associé cet horrible massacre au terrorisme islamiste est révélateur, a soutenu Heiner Bielefeldt. Il s'agit d'un exemple gênant de la puissance des préjugés.»

«La couverture journalistique a été irresponsable, selon Julie Posetti, professeure de journalisme à l'Université de Canberra, en Australie. Cela pourrait être néfaste pour les musulmans partout dans le monde.»

Il est vrai qu'après l'attentat, alors qu'on savait à peine ce qui s'était passé, les exigences de l'information continue ont amené les reporters et les experts qu'ils interrogeaient à spéculer sur l'identité des auteurs de ces attentats. Cependant, dans ce qu'il nous a été donné de voir, d'entendre et de lire, personne n'a attribué la tuerie aux musulmans dans leur ensemble. On a parlé d'«islamistes radicaux», de «terroristes islamistes», de «jihadistes». Curieusement, ceux-là mêmes qui ne cessent d'accuser les journalistes de confondre islam et terrorisme islamiste n'ont pas remarqué que, dans le cas présent au moins, la distinction a bel et bien été faite.

Par ailleurs, la piste islamiste était loin d'être farfelue. Une voiture piégée, une bombe de forte puissance, des cibles choisies avec soin: cela ressemblait beaucoup aux attentats commis par la nébuleuse Al-Qaïda. Ajoutons enfin le fait que les islamistes avaient menacé la Norvège à plusieurs reprises.

Sheila Musaji, éditrice du magazine internet The American Muslin, soutient que de telles spéculations illustrent l'islamophobie de leurs auteurs, ceux-ci étant convaincus que «tous les terroristes sont des musulmans». Au contraire, selon elle, «la plupart des attaques terroristes ont été menées par des personnes qui ne sont pas musulmanes.»

La première affirmation est bien sûr fausse, mais la seconde ne nous paraît pas fondée non plus. Il existe évidemment des terroristes dont les motifs n'ont rien à voir avec l'islam. Toutefois, il faut convenir que la majorité des organisations terroristes connues s'inspirent notamment d'une vision radicale, caricaturale de l'islam. En outre, Al-Qaïda est, de loin, le réseau terroriste le plus organisé à l'échelle mondiale.

Il n'y a pas eu de dérapage islamophobe dans la couverture de la tragédie norvégienne. À aucun moment, dans les médias sérieux, on a tenu la religion musulmane responsable de ce qui s'est passé à Oslo et dans l'île d'Utoya. Faudrait-il que, à la suite d'un attentat, les journalistes s'empêchent d'évoquer la responsabilité possible des jihadistes? On leur imposerait alors une rectitude politique, une chape de plomb dont souffrirait toute la population, y compris les communautés musulmanes.